mercredi 18 janvier 2012
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vendredi 2 septembre 2011
Cow Boys vs Aliens Jon Favreau: Approche de la mythologie hollywoodienne
« Le religieux n'est rien d'autre que cet immense effort pour maintenir la paix. Le sacré c'est la violence, mais si le religieux adore la violence c'est toujours en tant qu'elle passe pour apporter la paix; le religieux est tout entier orienté vers la paix mais les moyens de cette paix ne sont jamais dénués de violence sacrificielle. » René Girard in Des Choses Cachées depuis la Fondation du Monde
Au départ il y'a ce titre d'une généralité surprenante: Cow Boys vs Aliens (titre original bien sur). Au cas où le spectateur moyen n'aurait pas été prévenu du spectacle auquel il va assister, force est de constater que ce titre lui dit tout sur le film à venir, nous y reviendrons.
Tout d'abord, et rétrospectivement, le film de Favreau apparaît dans toute sa splendeur comme un film sans personnalité aucune. Cela ne pourrait être que mon petit avis subjectif mais le but de cette article est de montrer -dans les grandes lignes, longueur restreinte oblige- en quoi cela fonde précisément son grand intérêt pour l'analyste.
Pour mettre les choses définitivement à plat Favreau est un faiseur, et celui qui irait chercher l'artiste génial derrière Cow Boys.... serait bien embêté mais, après tout, cela n'enlève pas au film un certain caractère réjouissant et en fait un sujet d'étude intéressant. Nous avons, au final, une production made in hollywood et made in Spielberg à mes yeux réussie -ce qui est, ne nous emballons pas, le minimum syndical requis selon moi pour une oeuvre hollywoodienne de type blockbuster (imaginons le désastre et l'ennui affligeant lorsque ce caractère réjouissant n'est même pas au rendez vous -voir Conan de Nielsen ou Green Lantern de Campbell pour s'en assurer-).
C'est en effet bien cette absence de personnalité plutôt flagrante qui va constituer l'intérêt de la critique. Le monde à l'envers direz vous! Il faut nuancer et affirmer qu'au contraire, le fait que le film soit totalement formaté génériquement, ce qui entraine l'effacement quasi-complet du cinéaste, va nous mettre en contact presque direct avec ce que nous pourrions appeler une certaine mythologie hollywoodienne pure.
On en revient à ce titre étrange, trois mots qui claquent et qui fournissent presque la recette du film. L'originalité possible de l'oeuvre est toute entière basée sur ce mélange impur, surprenant et mystérieux entre « Cow boys » et « Aliens » soit, en extrapolant basiquement, sur la conflagration de ce qui sont deux des plus grands genre du cinéma hollywoodien: le western et la SF.
Peut on imaginer plus antinomique que le western et la SF? Cela paraît peu probable, le western incarne le genre fondateur et mythique, aussi essentiel au cinéma hollywoodien que peut l'être le besoin d'eau à un assoiffé dans un désert. Analyser et comprendre le western et son évolution c'est faire le pas décisif pour comprendre le cinéma hollywoodien.
Si le western en tant que genre pur et fermé (soit un récit se déroulant au 19ème en Amérique) a presque disparu des écrans aujourd'hui (même si les sorties en ce moment de Blackthorn, ou de La Dernière Piste il y'a quelques mois, tendraient à prouver le contraire) ses thématiques, son esthétique, sa structure, et son organisation n'ont pas disparu pour la simple et bonne raison qu'elles infusent tout le cinéma hollywoodien en profondeur, qu'elles sont la matrice mythique inhérente à l'ensemble du cinéma hollywoodien.
L'analyse structuraliste de descendance Levi Straussienne à permis à certains analystes du western tel Jim Kitses de montrer à quel point le genre reposait, tel les mythes primitifs, sur des couples binaires d'oppositions et de corrélations ( est/ouest, sauvagerie/civilisation, nature/culture, individu/groupe etc...). La force de l'analyse structurale permet de dégager des schèmes retrouvables dans une très grande majorité des films. Sa faiblesse est qu'elle aurait tendance à s'enfermer elle même dans son domaine d'étude (le western et rien d'autre) et oublie -ou rechigne- à la confrontation de ses constats et de ses hypothèses face à l'immensité du cinéma hollywoodien s'étendant à ses cotés.
D'où l'apport à nos yeux essentiel d'un théoricien comme Jean Baptiste Thoret qui, en prolongeant les intuitions conceptuelles d'un Deleuze concernant le cinéma américain dans l'Image-Mouvement, fait surgir une véritable essence hollywoodienne incarnée selon lui par la triade que constitue les rapports entre énergie, action et violence.
Cette dernière incarne à nos yeux la clef de voute du cinéma américain. Etudier sa représentation et son traitement est nécessaire si l'on veut pouvoir envisager le repérage et la compréhension d'une mythologie hollywoodienne. D'où l'apport fondamental selon nous des études (anthropologique, philosophique, historique, sémiologique....) consacrés à des aspects religieux tels que les concepts de « mythe », de « sacré » et de « rituel » pour comprendre notre rapport à l'imagerie hollywoodienne et à sa manière de nous narrer des histoires.
Nous faisons, en prolongeant les hypothèses de Thoret et en nous appuyant sur les travaux à nos yeux fondamentaux de René Girard concernant la violence, de cette dernière la clef de voute du cinéma américain, du western le genre essentiel, et du duel qu'appelle la représentation filmique de la violence (« duel » est à prendre au sens large de rivalité, de confrontation entre des individus ou des groupes d'individus aussi bien que de rapports dialectiques de notions conceptuelles héritées d'une perspective d'étude religieuse, type chaos/cosmos, sacré/profane, ordre/désordre, mythique/tragique etc...), la structure matricielle fondatrice du cinéma hollywoodien.
Alors revenons à Favreau et à ce titre. Ce qui ferait presque du film du cinéaste l'objet d'analyse parfait est en effet tout entier contenu dans le titre lui même qui appelle immédiatement la structure duélique discutée ci-dessus, ce à plusieurs niveaux: un niveau extra-filmique d'abord avec un conflit entre les genres (le western vs la SF) et un niveau intra filmique plus classique que développera le récit à travers les relations entre personnages ou groupes de personnages.
La SF contrairement au western n'est pas du tout un genre fondateur. Si il se développe à travers des films de série B voir Z dans les fifties le genre va prendre une ampleur considérable à partir des seventies (cela d'une part grâce, entre autres, à Spielberg et Lucas et avant cela à Kubrick avec 2001 et d'autres part grâce à l'évolution technologique du cinéma: raffinement des effets spéciaux, entrée dans l'aire du numérique etc...) et celui-ci constitue aujourd'hui un chevron fondamental au succès constant, là où le western à l'inverse a été relégué au second plan.
Dans cette inversion et ce rapport entre les deux genres (l'un aurait presque remplacé l'autre?) se situe tout l'enjeu sous-jacent du film de Favreau. Cow Boys vs Aliens c'est avant tout la lutte pour la survie et l'affirmation du genre western face à son remplaçant affirmé qu'est la SF. Le final du film confirme totalement cela puisque s'unirons face à l'envahisseur absolument tous les éléments structuraux essentiels du Western: indiens, cow boys, bandits, enfants, vieux, jeunes, barman, shérif, etc... Tous se liguent face à l'envahisseur, face à l'Autre qui menace leur survie en tant que monde, en tant que structure organique. Cela quitte à mettre de coté leurs rivalités, leurs duels intra-générique habituels (cow boys vs indiens, bandits vs shérifs etc). L'ultime preuve réside dans le motif de la visite des Extraterrestres sur terre: l'or, motif fondamental du Western dont le dérivé, l'argent et sa représentation, sont un sujet fondateur et matriciel, au lien quasi-génétique avec la violence, du cinéma hollywoodien.
Ce qui se joue sur nos écrans c'est donc tout simplement le baroud d'honneur du Western, la lutte final du genre pour s'affirmer et regagner sa place voler par les inconnus venus du ciel. Réussir ou mourir... Cet enjeu aux conséquences extra-diégétique pèse en effet sur le film de tous son poids: du succès économique de ce dernier, qui est tout de même le gros blockbuster de cette fin d'été, dépend un retour possible en force du genre Western.
Pourtant les extraterrestres sont largement supérieures aux pauvres humains les combattants et, si l'on regarde bien (ATTENTION SPOILER), les seuls éléments permettant la victoire des humains sur les extraterrestres sont précisément des éléments extraterrestres: soit d'un coté le bracelet énigmatique imposé (on ne sait trop comment) au Héros joué par Daniel Craig et l'extraterrestre ayant pris forme humaine se sacrifiant à la fin du film pour faire exploser le vaisseau ennemi. La victoire est donc amère et elle ne doit pas grand chose aux éléments intra-génériques du Western. Nous en reparlerons.
Dans les faits le film de Favreau retourne complètement les structures duelles propre au genre et ramène au sein du western, genre pourtant propice à l'éclatement des rivalités et des couples d'oppositions, une cohésion sociale totale face au grand ennemi commun.
Schème qui est en fait précisément un élément fondateur du genre des films de SF ayant pour pitch l'invasion des aliens. Il n'y a qu'à voir la toute récente série, made in Spielberg elle aussi, Falling Skies pour s'en convaincre. L'Autre (le monstre, l'alien, la bête) est ce qui permet la soudure de la communauté. Dans Falling Skies, qu'ils soient prof d'histoire, ex militaire, adolescent, forçat en cavale et j'en passe ce qui les unit est bien la haine viscérale de la bête (haine peut être infondée car Falling Skies, excellente série dont il faudrait parler en détail, nous réserve à mon avis bien des surprises dans sa seconde saison et n'est pas avare en propos ambigüs). Haine qui cache la profonde peur de l'Autre car celui-ci est en apparence profondément dissemblable.
Cette peur du cinéma américain que cristallise la figure mythique de l'extraterrestre c'est certes à un niveau physique et superficiel la peur du différent, mais la monstruosité de la bête incarne en fait la peur fondamental américaine de la perte de l'individualité et précisément de la différence. La peur de l'indifférenciation. N'est ce pas, en effet, le propre de tous les Aliens des films de SF que de tous se ressembler? Dans le film de Favreau les humains sont enlevés par les Aliens et sont lobotomisés, leur regard à tous est perdu dans le vague et est d'un bleu surnaturel évoquant les chouettes lobotomisées du film de Snyder Le Royaume de Ga'oule, et dans Falling Skies les adolescents sont enlevés par les Aliens et sont eux aussi robotisés et transformés en esclave par la fixation d'un harnais organique à leur colonne vertébral.
C'est par ailleurs ce qu'explique très bien l'anthropologue René Girard au travers de la superbe phrase suivante: « La différence hors système terrifie parce qu'elle suggère la vérité du système, sa relativité, sa fragilité, sa mortalité.... Ce n'est pas l'autre nomos que l'on voie dans l'autre mais l'anomalie, ce n'est pas l'autre norme, mais l'anormalité. »
Alors paradoxalement pour combattre cette menace suprême qu'est l'indifférenciation il faudra aussi briser les différences, casser par exemple dans le film de Favreau le mythe, qui est établissement de la différence, de la rivalité indiens/cow boys. Il faudra faire perdre aux personnages westerniens ce qui fait leur sève, leur identité. Et tiens donc! Une identité, c'est précisément ce qui manque au héros du film qui se réveille en plein désert sans se souvenir de qui il est, dans une antépénultième variante du syndrome Jason Bourne.
Tous s'unir donc, quitte pour les personnages et le genre à perdre leurs passés et ce qui fait leurs substances dans le but de faire partir en fumée dans une scène devenue rituélique depuis la fin orgasmique d'Independance Day, le vaisseau Alien.Mais -et c'est là une des rares forces du film de Favreau qui en fait une oeuvre filmique supérieur à celles d'un Emmerich- ce vaisseau alien est précisément détruit, on l'a dit, par une figure extraterrestre ayant revêtu forme humaine et par l'aide du bracelet extraterrestre de Daniel Craig.
Contradiction à priori. Mais pour les lecteurs familiers de René Girard ceux ci reconnaîtront en fait ce qui constitue la force principale des structures mythiques primitives: la victime de la violence collective au sein du mythe est à la fois profondément haie et finit par être sacrifiée mais est par ailleurs sacralisée, divinisée par la communauté du fait même qu'elle est, aux yeux du primitif, un sacrifice fondateur et nécessaire au maintien et à la cohésion de la société.
Nous reconnaissons dans cette ambivalence paradoxale -le sacrifié à la fois comme victime haie et comme divinité vénérée- les deux figures extraterrestres apparaissant au sein du film de Favreau: soit les aliens en quête d'or (victime haie) et la figure sacrificielle extraterrestre ayant apparence d'une femme superbe et sacralisée par Favreau (elle apparaît comme proprement divine lorsqu'elle se relève des flammes) se sacrifiant pour faire exploser les aliens. Il fallait bien que toutes les formes d'altérité soient détruite, l'Autre ne pouvant atteindre le stade de divinité qu'après sa mort et sa destruction, son rejet de la communauté, permettant ainsi le maintien de la différence dans la résorbation de la crise qu'à vécu la société et le retour à la paix par le biais de la violence. A la fin du film Ford propose d'ailleurs à Craig de travailler pour lui mais celui-ci décline la proposition et s'éloigne au loin... Le western a survécu (précairement) et nous retournons aux bons vieux schèmes mythiques originaires, à la restauration des différences mises entre parenthèse le temps de la lutte et donc au retour à la normale, soit l'ordre initial.
Ce que laisse alors apparaître le film de Favreau (comme tant d'autres) c'est la richesse des liens entre cinéma hollywoodien et religieux (mythes, sacré, rituels), c'est la perpétuation et la survie au sein de notre société moderne pourtant profane de schèmes et de structures sacrés et mythiques millénaires remontant à l'homo-religiosus primitif et c'est la vivacité, la cohérence et la force des mythes que travaillent et développent en profondeur l'imagerie hollywoodienne appelant une étude profonde et globale.
Pierre Andrieux
mercredi 17 août 2011
La Piel que Habito: Vicente, Vera, Venus et les autres. Sur la beauté trash du cinéma d'Almodovar
C'est un Almodovar qui nous revient particulièrement inspiré deux ans après son dernier film en date, Etreintes Brisées, en décidant cette fois de s'inspirer du roman noir de Thierry Jonquet Mygale. Tout d'abord il y'a ce titre: La Piel que Habito (la peau que j'habite en espagnol) particulièrement évocateur quand à la thématique du film. En effet, c'est bien de peau dont il est question au départ puisque Robert Ledgard (Antonio Banderas) chirurgien de métier travaille à la création d'une peau révolutionnaire pouvant ainsi permettre, entre autre, le sauvetage des grands brulés.
Mais derrière ces apparences de sauveur universel se cache surtout pour Robert un profond traumatisme intime puisque celui-ci ne s'est jamais remis de la mort de sa femme, victime d'un accident de la route et brûlé sur la totalité du corps, plusieurs années plus tôt. Celle-ci n'ayant survécut que pour mieux se jeter par la fenêtre quelques mois plus tard en découvrant son atroce reflet. Robert quand à lui a finit par accomplir, plusieurs années après-en se servant d'un mystérieux cobaye enfermé chez lui- son rêve puisqu'il a entièrement greffé son invention à celui-ci et ce jusqu'au visage qui n'est autre -cela coule de source- que celui de sa chère et tendre disparue.
Ces quelques lignes évoqueront déjà à certain un certain nombre de références que le film d'Almodovar brasse à la pelle: du mythe de Pygmalion, au grandiose The Fountain d'Aronofsky, pour le mari éploré, en passant, bien sur, par Les Yeux sans visage de Franju et Frankenstein de Shelley. Quand au thème du changement de visage il est un habitué des salles obscurs -qu'on se remémore le superbe L'opération Diabolique (Seconds) de Frankenheimer ou encore Volte/Face (Face off) de John Woo. Enfin le coté façonnage démiurgique évoque bien sur sans détour Vertigo d'Hitchcock qu'Almodovar semble citer presque directement au détour d'un plan montrant Robert s'assoir sur un banc et contempler Vera.
« Je est un autre » écrivit Rimbaud dans un de ses éclairs de génie, la citation permet d'introduire la problématique du film et pourrait aussi très bien s'appliquer à l'oeuvre du cinéaste espagnol dans son ensemble. Surtout connu pour être un des réalisateurs chez qui la femme occupe la place centrale de ses films il faudrait nuancer la remarque en la déplaçant légèrement. La femme certes mais la femme toujours prise comme pure fantasme, comme objet total du désir de la part de l'homme bien sur. Si la femme est centrale c'est toujours bien dans cette perspective d'objet magnifique et fascinant mais, processus "d'objetisation" oblige, à la limite de l'inertie ou de la simple fonctionnalité creuse -cela est par exemple criant dans Attache Moi où Victoria Abril est actrice (donc manipulable tel un pantin par le cinéaste) et passera une grande partie du film incapable de bouger puisqu'attachée sans parler de Parle avec Elle (jeu de mot involontaire) où l'un des personnages féminins centraux est précisément dans le coma et est le sujet de l'amour passionnel de son infirmier ou encore dans Etreintes Brisés où le personnage central est masculin et où la femme (Penelope Cruz) n'est matérialisé qu'à travers le souvenir du héros. La distinction était importante et il fallait la faire, Almodovar n'est pas Tarantino (Jackie Brown, Kill Bill...) où Von Trier (Melancholia, Dogville, Manderlay...), deux cinéastes à femmes mais où celle-ci sont les pures piliers centraux de la création filmique et de la narration.
Alors deux choses, non disons plutôt trois, découlent de ce constat. Qui dit fantasme et désir dit par ailleurs pulsion, la femme pour l'homo-Almodovar est cet objet qui appelle la tentation de la chaire, la pulsion sexuelle primaire comme concrétisation d'un désir qui, parce qu'il est, comme tout désir, mimétique chez le cinéaste (nous y reviendrons dans un instant), introduit aussi la notion de rivalité, de confrontation. Deux conséquences thématiques en découlent qui inondent les oeuvres du cinéaste: le viol (ou union forcée à l'objet désiré) et le transsexualisme.
Le viol est un thème central de son dernier film (on assiste à un viol concret et à un autre échouant rappelant la tentative pitoyable d'Antonio Banderas dans Matador). Visant à s'approprier pleinement le corps de l'autre le viol est bien la tentative bestiale et violente d'accomplir le fantasme. On est jamais loin de la bête dans le comportement sexuel chez Almodovar. Ce comportement répond bien souvent à un pure instinct primaire: voir Matador et son célèbre montage alterné entre tauromachie et acte sexuel mais aussi La Piel où le violeur, qui n'est autre que le frère de Robert apparaît dans le film déguisé en léopard, portant littéralement sur lui -comme une seconde peau évidemment- son statut d'animal dangereux et se faisant appeler « le tigre », plus tard ce sera Vera, le cobaye de Robert, qui regardera un reportage animalier mettant en scène un léopard.
Mais ce qui fait qu'Almodovar se garde bien de franchir la ligne pouvant le faire tomber dans le trash et la pure horreur pour toujours flirter intelligemment avec celle-ci c'est l'ajout comme contre point esthétique et formel d'un goût prononcé pour l'érotisme délicat et la sacralisation de la femme. La femme incarne le divin et son corps sublimé devient l'incarnation physique de la beauté spirituelle. Ainsi dans Attache moi Antonio Banderas retient captive Victoria Abril mais ne fait aucune tentative de viol, l'objet de son désir lui est trop pure pour cela. Par sa vénération sans compromis Abril, qui n'est qu'une vulgaire et profane actrice de porno, va se transcender et apparaître comme manifestation concrète, profondément sacré, d'un paradis virginal à conquérir.
Preuve en image aussi avec La Piel que Habito où Almodovar choisit de placer au sein de la maison de Robert, sur le palier menant à la chambre de Vera, une copie de La Venus d'Urbin du Titien venant hanter de son aura sublime en motif de fond plusieurs plans du film et contenant toute la dialectique Almodovarienne. La Venus d'Urbin fut en effet longtemps considéré comme tableau profondément obscène. Cette Venus qui nous regarde de front dans sa nudité dévoilée nous met en position de voyeur légèrement mal à l'aise, particulièrement quand on voit que son bras gauche mime clairement l'acte de la masturbation.
Une beauté trash pour l'époque en somme (voir l'analyse brillante du tableau effectuée par Daniel Arasse dans « On n'y voit rien » pour s'en convaincre), à l'image du film du cinéaste espagnol. Film dans lequel Almodovar s'amuse à remettre en scène le tableau dans des variations nombreuses et voyeuristes à travers Vera allongée de face ou de dos, face à un Antonio Banderas la contemplant dans toute sa beauté. Cela à travers un écran de télévision, ayant remplacé le cadre du tableau.
On retrouve aussi à travers l'exemple de Attache Moi ci-dessus, et le lecteur l'aura noter, cette dialectique fertile entre le profane, le trash, la vulgarité (Abril comme actrice porno) inhérente aux oeuvres et la beauté, l'érotisme, le sacré (Abril comme objet du désir). Dans La Piel cette dialectique est particulièrement mise en avant et traverse tout le film. Le corps de Vera est sublime, sa peau d'une blancheur irréelle, pas un trait, pas une ride. Vera est la femme Almodovarienne rêvée, le pure fantasme incarné concrètement et créé de toute pièce par le héros lui même qui devient, par le biais de la science, créateur, Dieu en vérité, et artiste génial comblant ainsi sa pulsion et soignant son trauma initial dans une relecture inversé de Frankenstein (la créature est dans le roman laide, couturé, mal fini alors qu'ici elle touche à la perfection).
Robert s'il est un scientifique incarne alors aussi la figure de l'artiste. Soit Almodovar lui même, cinéaste profondément hybride aimant à mélanger constemment les genres et les codes (Femmes au bord de la crise de Nerf en est un bel exemple). La Piel n'y échappe pas, entre comédie, thriller ou film de vengeance évoquant même le temps d'une séquence (les plans sur les haches, les marteaux, outils possibles de tortures) le cinéma coréen d'un Park Chan Wook ou d'un Kim Jee Moon et son récent et troublant I Saw The Devil.
Pour revenir à l'hybridité nous voyons en effet à plusieurs reprises Robert mélanger du sang à d'autres composantes, tester des hybridations possible, dans le but de créer sa peau révolutionnaire. Belle métaphore d'un cinéma (celui du cinéaste) basé justement sur le mélange. Cette idée s'incarnant parfaitement dans le motif sans doute le plus récurent des oeuvres de l'espagnol: le transsexualisme.
La liste serait trop longue mais disons seulement qu'à travers le transsexualisme, qui imbibe en profondeur des oeuvres comme La Mauvaise Education ou Talon Aiguille, s'incarne l'autre moyen (après le viol) d'assouvir la pulsion de l'Homo-Almodovar, son désir de l'objet sacré-femme. En effet, comment se libérer de son désir sinon en faisant de son propre corps la marque de la possession enfin acquise de l'objet désiré -et cela même inconsciemment comme c'est le cas (Attention spoiler) pour Vicente, dans la Piel, qui travaille dans une boutique de vêtements pour femmes.
Mais le transsexuel incarne encore une figure monstrueuse, tentative à demi-réussi d'éteindre sa pulsion érotique en faisant de son propre corps le sujet du désir. L'homme reste présent non seulement derrière mais surtout dans les traits du corps et la femme ne passe pas complètement d'objet désiré à objet désirant. Sauf! Dans La Piel que Habito qui, sur ce point apporte enfin la solution, à travers le génie de Robert, à ce léger problème. (Attention Spoiler) Vera/Vicente est totalement femme mais dans le plan final c'est bien son nom d'origine, masculin que l'on prononce et qui clôture l'oeuvre. La forme vide, sacré et mythique qu'est la femme (et tout mythe est forme vide comme dirait Barthes) se trouve remplie et la fusion est alors parfaitement accomplie. (Fin du spoiler).
Décidément le cinéma espagnol se porte plutôt bien! A quelques mois d'intervalles sortait le dernier film, Balada Triste, de l'autre grand cinéaste espagnol Alex de la Iglesia. Deux films superbes, sans compromis et aux parallèles frappants. Balade Triste étant en effet aussi un film travaillant sur l'hybridation des genres, la métamorphose et la mutation des corps cette fois vers le monstrueux et le grotesque, contrebalancé, là aussi, par un souci esthétique remarquable et transcendant. Deux films à voir absolument.
Pierre Andrieux
mardi 7 juin 2011
X Men First Class (deuxième critique)
Professor Charles Xavier: [to Eric] A new species is being born. Help me guide it, shape it... lead it.
Plongé dès les premières minutes dans le camp de concentration d'Auschwitz, nous vivons avec le jeune Éric son traumatisme : le meurtre de sa mère. La colère devient essence de son pouvoir, et c'est donc guidé par la rage et la tristesse que cette écorché vif se dirige logiquement vers la vengeance.
Vaughn fait mourir la mère en arrière plan, dans le dos du garçon. Une séquence puissante, une énergie habilement contenue puis finalement libérée, X-Men First Class affirme d'emblée que la franchise doit enfin jouée à son vrai niveau.
Après l'impressionnant cocktail d'inventivité, de désinvolture et de subversion que fut Kick Ass, Matthew Vauhn s'attaque à la grande forme du blockbuster de super-héros premier degré, qu'il prend par les cornes avec une maetra qui rassure. Un grand metteur en scène s'affirme, et c'est le spectaculaire qui retrouve de sa vigueur après le très solide Thor.
Le thème de la mutation est enfin exploré dans sa pleine mesure afin de mettre en avant les dialectiques fondatrices qui font la richesse de X-men. La raison face au l'animalité, l'homme face à l'étranger qui n'est est pas un. C'est l'ignorance, l'acceptation de l'autre, le désir d'intégration et la recherche d'identité qui redeviennent enfin les moteurs narratifs de ce nouvelle opus. Le scénario se déploie avec délicatesse, patience, telle une stratégie guerrière savamment orchestrée vers un final attendue, la naissance de Magnéto, ou plutôt le devenir Magnéto car si naissance il y a, elle a déjà eu lieu dans ma première scène du film.
Vaughn ne se contente pas de faire progresser sa narration comme une vulgaire faiseur, l'entrecoupant ça et là de séquence pyrotechniques insipides. Chaque séquence du film est une occasion de faire naître des idées visuelles. Tandis que le cerveau assimile les données narratives, l'œil est séduit par les tentatives formelles du cinéaste qui ose, là où beaucoup se contente de suivre la feuille de route (Maudit sois-tu Rob Marshall pour cette affreux Pirates des Caraïbes 4).
Le jeu d'acteur est donc logiquement le premier bénéficiaire de cette attention généreuse porté à la construction des personnages. Moins de réactions codifiées, plus de liberté de jeu et on arrive rapidement à cette belle séquence au milieu du film où Charles Xavier teste les capacités d'Éric en le défiant de faire pivoter l'énorme radar parabolique situé à quelques centaines de mètres d'eux et surplombant la forêt. Le pouvoir télépathique de professeur X, plein d'assurance et de sérénité, équilibre la si puissante colère de Magnéto. Le souvenir de la mère ressurgit, mais transformé cette fois en une énergie positive que Vaughn, par un effet de surimpression, transforme en une image mentale partagé par les deux hommes. La séquence, pourtant si spectaculaire, est ramené à l'échelle intime. Une larme coule sur les joues des deux héros. L'alchimie est totale.
Le style plastique très audacieux de Vaughn, qui le poussait dans Kick Ass à penser des transitions fondues délirantes tout en mêlant les grands poncifs formelles de la culture populaire est ici non pas invisible mais subtilement dissimulé. Le réalisateur se permet tout de même une séquence montage en splitcreen (écran partagé) adéquate avec la période ou se déroule les évènements du film (la forme splitscreen se développe essentiellement à partir des années 1960), ainsi que quelques métaphores visuelles toujours étonnantes lors des transitions entre les séquences.
Mais gardons le meilleur pour la fin. Car en effet, le final de X-Men First Class est dantesque. Et là il faut bien avouer que Vaughn surprend. En revoyant Kick Ass et ses séquences d'actions nerveuses, sur-découpées tout en étant très habilement raccordées, on attendait du cinéaste un style plus contemporain, dans la continuité de son premier film et de ce que l'on peut voir depuis quelques années dans les salles. Et bien non. La séquence finale choisit l'économie de plans et la sidération pour éblouir le spectateur. Alors que les mutants prennent part à la crise des missiles de Cuba et tentent de stopper le conflit amorcé par Shaw (Kevin Bacon), la guerre nucléaire semble inéluctable. La séquence, elle, est aérienne. Les X-Men repèrent le sous marin de Shaw, et Magnéto, accroché à la roue atterrissage du jet, le soulève grâce à sa force mentale. Le sous marin émerge des eaux avant le léviter dans le ciel. A la manière de Spielberg ou Cameron, Vaughn nous offre une scène de pure contemplation, dans un rigoureux respect de ce que j'aime appeler : le sublime cinématographique. L'humain, au premier plan, est confronté au spectaculaire en arrière plan. Le spectaculaire c'est d'abord cette immense sous-marin, puis cette pluie de missiles téléguidés, dont les traînées de fumée strient le ciel bleu cubain. Maîtrise de l'espace, suspension du rythme de l'action puis reprise avec une course poursuite aérienne entre X-mens qui renverse les têtes. Le cadre respire, le spectateur est saisie. Vaughn fait de la crise historique des missiles de 62 une séquence fictionelle impressionnante, à titre personnel ma scène préféré depuis le début de l'année 2011, un point c'est tout.
Avec X-men first class et après Avatar et Thor, le blockbuster reprend peu à peu la forme qu'il devrait toujours avoir, entre équilibre du style classique ample et opératique, et du style moderne qui accélère la narration et creuse l'image grâce à une caméra cinétique (en mouvement). Le spectaculaire est une affaire sérieuse à ne pas laisser entre toutes les mains, celles des faiseurs et pire encore des financiers. Plus que jamais il faut des réalisateurs voyants (pour citer mon professeur Pierre Berthomieu) capable de magnifier les archétypes, de sentir l'espace grâce à un vrai regard de cinéaste. En cela le film de Matthew Vaughn était inespéré.
samedi 4 juin 2011
X Men First Class Matthew Vaughn : Xavier ou Magneto?
Dure, dure de s'attaquer à la mythologie X Men... après le déplorable X Men L'Affrontement final (2005) et le plutôt fade X Men origins Wolwerine (2009) une certaine appréhension était présente vis à vis de ce dernier opus se proposant de plonger aux origines de la franchise et de nous dévoiler les dessous de la rivalité Xavier/Magneto.
Ce qui venait tout de même contrebalancer cette appréhension était le retour du grand Bryan Singer, réalisateur des deux premiers films, cette fois à la production, et surtout la présence à la réalisation du génial Matthew Vaughn. Vaughn, dont c'est seulement le quatrième film, incarne selon nous, au même titre qu'un cinéaste comme Zach Snyder, dont il fut beaucoup question sur ce blog, une valeur sure qui parvient à faire briller d'une lueur d'espoir l'avenir du cinéma hollywoodien (les Spielberg and co commencent hélas à se faire vieux).
Le genre du film de super-héros n'était pas un terrain inconnu pour le cinéaste du génial Kick-Ass qui revisitait avec ce film les codes du genre et livrait une oeuvre délirante et jouissive. Avec Star Dust, son film précédent Kick Ass, c'était l'univers du conte et du merveilleux qui était cette fois sujet à un regard neuf. Bref, ce qui ressort de ces quelques lignes c'est que le cinéaste semble s'épanouir au sein de genre particulièrement codé et réglé et leur injecte une nouveauté, une fraicheur dans le ton comme dans les personnages (le Héros Vaughnien est définitivement le pré-adulte au grand coeur, un peu gauche et un peu looser sur les bords) particulièrement appréciable. Il y'a toujours chez Vaughn ce léger décalage, ce subtil second degré qui écarte ses films de la parodie débilitante et lourdingue et les préserve de la grandiloquence et du ridicule d'un parfois trop grand sérieux propre à ces films. On est toujours à la limite du Kitsch, du ridicule chez Vaughn et cela précisément car c'est bien ce que le cinéaste recherche consciemment. Il joue avec les clichés, les retourne, s'en amuse et porte au final un regard décomplexé mais jamais moqueur ou cruel sur ces univers fortement stéréotypés. Le Capitaine Shakespeare dans Star Dust en était l'exemple type.
Avec X Men qu'on se le dise d'emblée Vaughn, s'il ne rejette pas du tout l'humour (et tant mieux), laisse tout de même au vestiaire ses velléités satiriques. Le poids de la franchise est assumé avec sérieux (le coté Singer?) mais aussi avec légèreté et Vaughn livre tout simplement à nos yeux le meilleur film X Men. La patte du cinéaste se retrouve dans le goût pour les jeunes X Men débutants et maladroits devant se former et conquérir leurs statuts de véritables Héros (tel Tristan dans Star Dust ou Dave dans Kick-Ass). Le choix de James Mac Avoy (déjà vu dans le réjouissant Wanted Choisis ton Destin) pour incarner Xavier est particulièrement judicieux et l'acteur est parfaitement dans la lignée des Aaron Johnson (Kick-Ass) et Charlie Cox (Star Dust) avec leurs têtes de jeunes premiers naïfs et fragiles.
C'est bien cette naïveté des héros Vaughniens qui se doit d'être soulignée et marque un héritage classique à l'oeuvre chez le cinéaste. Dave, Tristan ou Xavier sont de pures chevaliers du bien. Leur moralité est irréprochable et tous le problème de films comme Kick Ass ou Star Dust est bien cette difficulté qu'ils ont d'agir et de trouver leur place au sein du monde dans lequel ils évoluent. A la fin de Star Dust Tristan devient roi du royaume merveilleux bordant notre monde quotidien et quitte donc définitivement ce dernier. L'anachronisme des personnages est flagrant, ils croient encore en des valeurs obsolètes. Avec X Men et la relation Xavier/Magneto on sera alors au coeur de ce problème. Soit deux héros complètement opposés: le vaughnien Xavier, le singerien Magneto ( la fascination, chez Singer, pour les figures du mal (les nazis surtout) ou les individus profondément ambivalents est particulièrement frappante: voir le culte Usual Suspects et Keyser Soze, Walkyrie, ou encore Un Elève doué et le personnage interprété par Ian McKellen, lui même interprète de Magneto dans les deux premiers X Men).
Notre empathie qui va autant (voir plus) du coté de Magneto que de Xavier, nous pousse à nous interroger: de quelle coté se situer: Xavier ou Magneto? Une séquence du film est particulièrement frappante et signifie parfaitement l'ambition du film de Vaughn. Les deux héros discutent tout en jouant leur sempiternel et symbolique partie d'échec, ils sont au pied du Memorial Lincoln de Washington apparaissant dans la profondeur de champ. Une aura sacrée est conférée au moment. La figure lincolnienne ancre l'instant du coté du classicisme et convoque les références cinéphiliques de Mr Smith au Sénat de Capra à JFK de Stone en passant par Vers sa Destinée de Ford.
Elle donne aussi au film de Vaughn le statut du récit mythique racontant, par définition, une histoire sacrée étant advenue au temps des commencements, c'est à dire narrant la naissance, la venue au monde de quelque chose. Le film de Vaughn a pleinement valeur de récit mythique car il met en scène la naissance des X Men et ses deux héros Xavier et Magneto incarnent en fait les deux faces d'une même pièce: celle de la figure matricielle lincolnienne à la fois destructrice/créatrice ( Lincoln est à l'origine de la guerre civile (destructeur) et de la naissance d'une nouvelle nation (créateur) et l'ambition de Magneto est bien d'assoir l'avènement des mutants (créateur) et d'annihiler la race humaine inférieure (destructeur)) et d'autre part préservatrice/exécutante ( Lincoln est l'incarnation de l'idéal démocratique américain et perpétue les grandes valeurs morales du pays (courage, altruisme, discernement) ce que représente parfaitement Xavier), en Lincoln les opposés se résorbent, et celui-ci incarne à lui seul la devise du grand sceau américain « E pluribus unum » (un à partir de plusieurs).
La représentation lincolnienne chez John Ford et D W Griffith a particulièrement joué à accentuer et à connoter ces aspects du personnage faisant de la figure historique, une véritable figure mythique. A partir d'elle c'est tout le Héros hollywoodien qui se construit et qui en découle, ce jusqu'à nos Xavier et Magneto. La bipolarité de la figure héroique (car Xavier autant que Magneto sont les Héros) est donc le grand intérêt du film de Vaughn et les deux acteurs, Fassbender et MacAvoy, sont superbement antinomiques et se complètent parfaitement.
Le seul « chichi » que l'on pourrait se permettre serait de regretter que Vaughn laisse légèrement son style de coté ce qui fait d'X Men First Class un film à la réalisation certes parfaite (la dimension épique et le spectaculaire fascinant n'ont rien à envier à X Men 2 et la très bonne lisibilité ainsi que la grande qualité des scènes d'actions sont à noter et sont dans la lignée de celles, superbes, de Kick Ass et Star Dust) mais sans grande prise de risque, voir sans grande personnalité si l'on voulait être méchant. Pour avoir revu Thor de Brannagh juste après la différence est immédiatement perceptible. Brannagh apporte clairement un style formel précis à son film là où cela s'avère plus difficile à discerner chez Vaughn.
Mais ne boudons pas notre plaisir. A l'heure de la prolifération effrayante des films, bons ou mauvais, de super-héros, X Men First Class se situe clairement dans le peloton de tête et va sans doute permettre à Vaughn d'être définitivement « bankable » sur la planète Hollywood. Ce qui, on s'en doute, ne peut que nous réjouir et laisse présager un bel avenir à ce cinéaste dont le nom est à retenir et les films à voir, si ce n'est pas déjà fait.
Pierre Andrieux
mardi 24 mai 2011
Pirates des Caraïbes : On stranger tides
"Jack Sparrow: Did everyone see that? Because I will not be doing it again."
Il faut être franc, tous les amateurs de grands divertissements hollywoodiens se sont régalés avec la trilogie Pirates des Caraïbes. Si une certaine clarté narrative à fait défaut aux deux dernier opus de la saga, le rythme enlevé de la mise en scène de Verbinsky, l'univers fantasmé de la piraterie et ses personnages attachants finissaient toujours par l'emporter. On se retrouvait alors les yeux grands ouverts, dévorant ces aventures épiques comme un gamin de 10 ans.
Si c'est toujours un plaisir de retrouver Jack Sparrow, Barbosa et Gibbs, la saga vient d'engendrer l'épisode de trop, un film sans saveur et sans élan, réalisé par le non cinéaste : Rob Marshall.
On en veut à l'avide Jerry Bruckheimer, sûr d'empocher de l'argent facile avec une franchise devenu culte, et surtout, d'oser le faire alors que Gore Verbinsky, le vrai magicien de Pirates des Caraibes, a quitté consciencieusement le navire, persuadé du naufrage artistique. Alors vous me direz, fallait – il attendre autre chose de la part du producteur de Pearl Harbor et Armageddon ? Si Verbinsky n'est pas non plus un grand génie, quoique le succès artistique de Rango nous permet d'affirmer sans crainte que l'homme à du talent, il n'y a qu'a comparer le dernier opus avec les trois autres pour se rendre compte que l'homme maîtrisait et estimait son sujet. Rob Marshall, lui, en a fait un vulgaire produit sans âme.
Car la grande perdante de ce Pirates des Caraïbes « On stranger tides », c'est l'action, et le souffle épique. On retient de la franchise un sens du mouvement, un plaisir enfantin du combat de sabre, précis et fluide, et des jeux d'équilibre qui nous donnait le tournis.
Souvenez vous, L'abordage à coup de vaisselle en guise de mitraille, le duel au sabre sur la roue du moulin dégringolant la colline ou même le navire de Jack de renversant alors que l'eau et l'air s'inverse avec fureur, le tout porté par le virevolant « Up is down » de Zimmer. C'était l'aventure, la vraie !
Hélas on ne retiendra rien de tout cela dans le film de Marshall qui dénigre l'action comme seulement Mike Newell (Prince of Persia en 2009 également produit par Brukheimmer tiens tiens !) l'a fait avant lui. L'action se résume à de vagues coups d'épées indistincts, un plan d'ensemble furtif, deux trois raccords sur un coup de poing et une plongée verticale histoire de rentabiliser la grue.
Le tout, bien sûr, est monté dans un non-style qui fait office de rustine et qui masque le total manque de vision du cinéaste. En ressort un spectacle statique, vide, à l'exception peut être de la fuite de Jack à Londres dans laquelle Marshall épuise toutes ses bonnes idées. La séquence de fin est une déception totale, un summum de non-action. Pas un seul abordage, pas de Pearl, la vie de pirates est devenu bien morose.
En revoyant le soir même le premier film, on se rassure en se disant que cela n'a pas toujours été comme çà. Le plaisir est toujours là, intact, le film danse avec légèreté et fougue jusqu'à son dénouement, Pirates des Caraibes, la malédiction du Black Pearl était un spectacle grandiose, que l'on ai 7 ou 77 ans.
Alors bien sûr il reste les personnages, et encore, beaucoup ne sont pas là. Les scénaristes persistent depuis l'épisode 3 à vouloir multiplier les personnages de premier plan. On se retrouve alors avec une multitude de méchants dont la figure de proue, Barbe Noire est inintéressante. Depp se retrouve tout seul à cabotiner, heureusement il le fait bien et est parfaitement épaulé par le génialissime Geoffrey Rush, Barbosa est définitivement le meilleur personnage inventé par la franchise avec Sparrow. En se privant du triangle amoureux pervers qui aboutissait à la fin tragique du couple Will/Elizabeth, la fontaine de jouvence se résume à un jeu de parcours auxquels seuls quelques notes d'humour donne du piment. La musique, si essentielle dans la trilogie en cela qu'elle démultipliait la force épique des scènes d'action, est ici utilisée comme un simple gimmick. Aucune composition originale pour Zimmer qui nous propose ici ni plus ni moins qu'un best-of.
Pirates des Caraïbes, en plus de n'être rien d'autre qu'un pur produit sans âme, est un véritable gachit d'argent. 250 millions de dollars ne font pas de Rob Marshall un bon réalisateur. N'osez même pas la 3D qui était, à coup sûr, l'unique prétexte lancé par Brukheimmer à ses financiers pour relancer la machine. On comprend pourquoi Verbinsky a préféré mettre les voiles.
The tree of life
"Jack: Guide us, to the end of time."
J'ai souvent l'intime conviction qu'une critique de cinéma doit ressembler au film qu'elle commente, je veux dire formellement. The tree of life me déboussole en tant que critique de part sa faible teneur narrative, ses variations de rythme et son ambition démesurément métaphysique. Le film de Malick a la forme abstraite et éclatée d'un poème. Évitons donc de rationaliser et lançons nous sans réfléchir dans un commentaire subjectif et instinctif.
J'ai d'abord été surpris par la réaction du public, que ce soit à Cannes ou dans la salle de cinéma, le film sépare d'abord les spectateurs en deux catégories. Je veux dire par là que l'on repère tout de suite les spectateurs qui vont au cinéma de manière arbitraire, presque comme on sélectionne un produit dans un rayon parce que l'emballage nous plait. Les noms de Brad Pitt et Sean Penn ont attirés les foules comme la lumière vive attire les insectes. Ils rassurent et conforte le spectateur dans ce qu'il pense voir. On réalise alors à quel point le cinéma, aux yeux de beaucoup, se consomme comme un fast-food. A deux sièges de moi, un jeune homme dévore son menu Big Mac et répand une lourde odeur de potatoes en s'esclaffant haut et fort « Mais c'est quoi ce film ?! ».
Face à la vision grandiloquente mais généreuse et extrêmement maîtrisée de Malick, beaucoup rient. Une manière de se protéger, de répondre par la distanciation à des images trop puissante, trop gênante peut être. Les autres ont les yeux grands ouverts, acceptent la sidération même si tous ne ressortiront pas conquis. On en vient même aux mains quand certain finissent par scander haut et fort leurs piètre avis, debout devant l'écran, alors que des dizaines de personnes quittent la salle.
Ce genre de réaction, on en voit peu aujourd'hui au cinéma. Des films comme The Tree of life aussi. Il faut s'accrocher, accepter le rythme du film et se l'approprier. Il faut aussi se résoudre à l'idée que la force du film est dans l'image, dans sa beauté plastique et cette proximité avec la matière qui nous entoure. Un simple plan montrant de l'eau couler sur une jambe devient une expérience du sensible qu'il ne faut pas essayer d'intellectualiser mais plutôt d'utiliser comme un activateur de notre mémoire sensorielle. Avatar était déjà l'apologie d'un cinéma dont la beauté sublime résidait dans la puissance du regard. Ceux qui se contentait de critiquer le scénario étaient en faite passer à côté du film. La réponse était pourtant dans le film. Il fallait « voir à nouveau », avec d'autre yeux, ceux de la nature, de Dieu, comme vous voulez. « I see you » ni plus ni moins. La 3D nous offrait alors cette nouvelle vision magique de la fiction.
Malick ne prône pas autre chose. Contemplez, apprenez à nouveau à vous servir de vos sens. Quand on y parvient, le film prend alors toute son ampleur. Le montage sonore, les angles de camera, l'enchainement des plans, tout est pensé comme un poème cosmique, fluide et abstrait qui se résume à interroger l'homme sur sa capacité à croire, à dépasser sa condition naturelle pour atteindre ce qui fait sa singularité : La grâce.
Tout parvient alors à nous émouvoir, un regard d'enfant, une ombre, une lumière descendante. Malick parvient à tirer du numérique toute sa beauté à la fois sèche et précise dans la retranscription des couleurs naturelles. C'est cette photographie haute définition qui nous donne envie de toucher l'image. The tree of life est donc une expérience intérieur intense, au cour de laquelle notre cerveau lutte malgré tout pour donner un sens aux images qui défilent. Mais le film ne lui laisse pas le temps, il cherche à lui échapper et lui fait alors lâcher prise. Le combat est inutile.
Jusque là, Malick s'était toujours ralié à un genre cinématographique précis qu'il transcendait de sa vision panthéiste et cosmique du monde. The tree of life n'est ni un film de guerre, si une pastorale, encore moins une fresque historique. C'est une toute petite histoire, le plus souvent la notre et c'est pour cela qu'elle nous touche. C'est en même temps un très grande histoire, celle de l'univers et de notre obligation pour nous de lui donner un sens. Malick nous rappelle alors que, avec ou sans religion, pour survivre à la conscience d'être, il faut croire ou mourir.
Fin. Générique. Les lumières ne sont pas rallumer que l'individu perturbateur du début de film surgit subitement du néant et me décroche son point dans le visage. Le combat entre grâce et nature est décidément éternel.