dimanche 9 janvier 2011

Somewhere de Sofia Coppola: "Ghost Towns, Ghost people"





Sofia Coppola aime les hôtels. Lieux du passage, lieux des rencontres aussi (Lost in Translation). Surtout lieu propice à filmer la solitude de l'individu, son manque, quel qu'il soit, mis en avant par la passivité qu'entraine la vie à l'hôtel (on vous fait votre bouffe, on vous fait votre ménage, votre vaisselle, les contraintes de la vie matérielle tendent à se résorber, bref vous êtes, à priori, peinard. Beaucoup de temps libre, ce qui est un problème quand on ne sait précisément pas quoi faire.).

Tel est la vie de Johnny Marco, héros-star du dernier film de la cinéaste, résident, pour une durée indéterminée, du célébrissime hôtel Château Marmont sur le non moins célèbre Sunset Boulevard à West Hollywood. Domaine privilégié des stars, de leurs excès et de leurs fêtes (John Belushi y trouva la mort d'une overdose, Jim Morrison y chuta d'une fenêtre j'en passe et des meilleurs...).

Qu'on se le dise tout de suite, strass et paillettes sont quasi-absents du film. Ce qui intéresse Coppola on le sent bien, c'est l'intime, le quotidien et sa banalité: tous ses jolies thèmes clichés du film d'auteur qui viennent percuter la notion de célébrité, de star (Marie Antoinette suivait le même principe). Pas de glamour, on rejette bien loin Hollywood, son image, sa plastique irréprochable nous cachant le monde tel qu'il est. On va déconstruire les mythes. Le sexe, le désir sont machinique, on baise parce qu'il n'y a semble t'il rien de mieux à faire. L'hôtel si ce n'était pas le château Marmont nous apparaitrait à la limite du Motel un brin crasseux. Espace où tout les corps se ressemblent, où on ne peut pas communiquer (Voir la scène drolatique dans un ascenseur avec l'apparition de Benicio Del Toro).

Cette plongée dans l'intimité d'une célébrité a toujours quelque chose de stimulant pour le spectateur: « on va découvrir la vie de ces types fascinant qui possède tout ce qu'on peut rêver d'avoir dans notre société de consommation »: l'argent et tout ce qui va avec, le temps de faire ce qu'on veut, les voyages, la gloire d'être reconnu un peu partout etc... L'ennui c'est qu'il y'a un problème. Johnny se contente de vivre, il est las, fatigué, il n'a plus goût à la vie, bref il est malheureux (mais la cinéaste évite le cliché people: « La Star en Dépression! » et traite cela avec une subtilité et une douceur remarquable).

Johnny est un acteur, l'équivalent -on pense- d'un Tom Cruise, dans la vie il est un cliché vivant pour la population. Dans ses films (qui ont plutôt l'air d'être des blockbusters) son activité est hors norme. L'acteur hollywoodien, type Johnny Marco, ne cesse d'agir, jamais spectateur des évènements, toujours entrainé au sein de ceux ci (bon gré, mal gré) il sue (quoique...), dépense et grille son énergie pour rétablir l'équilibre. Son statut au sein du monde est assuré.

Dans la vie pour Johnny c'est l'inverse. Son statut d'acteur, de super héros, de mythe semble avoir aspiré son âme et l'a laissé fatigué, prêt même à dormir aux moments les plus stimulants. Johnny est dans la vie un grand passif, en marge de la société là où, dans ses films, il en est la figure centrale. Bref Johnny plus que d'être acteur est surtout spectateur de la vie et du monde. Coppola insiste sur ce renversement en nous montrant à maintes reprises, et cela dés le début avec la séquence de la danse « sexy » et un peu pitoyable des deux jumelles, que Johnny est en position de spectateur assistant un brin désenchanté aux actes des autres. Et les rares fois où il est actif dans les trois quart du film, il ne l'est que virtuellement (la partie de Guitar Hero sur So Lonely de Police... (quelle chanson cela aurait il pu être d'autre?)).


La grande question du film c'est celle qu'on pose au héros lors d'une conférence de presse: « Qui est Johnny Marco? ». Réponse: un grand silence, puis cut et changement de séquence.

Johnny ne le sait pas lui même. Il n'est qu'une coquille vide. Il n'est pour le monde qu'un corps (d'où la superbe scène symboliquement très forte du moulage de son visage.). On tend à lui arracher toute sa personnalité, son âme, pour le faire correspondre à l' enveloppe corporelle belle et lisse que l'on voudrait qu'il soit. Quand on a pas besoin de lui, eh bien il est libre de croupir dans son hôtel, de se saouler et de copuler, peu importe tant qu'il est bien souriant pour les photos.

J'en viens alors à l'importance de la voiture dans le film. Johnny possède une superbe voiture de sport (ca et ses lunettes noires sont tous ce qui pourrait indiquer au départ la star chez lui).Lors de la première séquence du film nous avons un long, très long plan fixe sur un espace désertique quelconque. Le silence du désert est brouillé par cette voiture de sport passant dans le champs, le quittant, puis y repassant cela plusieurs fois de suite.

Je me répète d'une critique à l'autre mais je souligne encore une fois l'importance d'une première séquence dans un film réussi. Pourquoi commencer son film comme cela? Coppola étire le temps, frustre le spectateur qui ne comprend pas vraiment: « c'est quoi ce début, cette voiture, cet endroit, c'est pas bientôt fini le délire? ». Cette séquence n'est aucunement reliable à la suivante. Elle vaut d'abord pour elle même. Elle est indépendante, sans lien narratif avec le reste du film. Son importance est donc d'autant plus forte.

Mise à part le fait qu'elle nous livre ici les motifs de son film (étirement du temps, banalité du quotidien, tendance à vider, épurer le cadre) Coppola nous donne à voir tout le problème dont il sera question pour Johnny. Il tourne en rond, épuise son énergie dans le vide et l'inutilité. J'ai souligné son rôle passif plus haut. La voiture conforte cette idée d'une activité passive. Pas d'effort physique, la voiture fait tout. Idée de la vitesse, de la présence fantomatique oscillant entre apparition et disparition du champs, contrastant avec la lenteur et la fixité du plan. Johnny n'est qu'un fantôme, un simulacre, un hologramme, associé avant tout à cette voiture de sport sans laquelle il ne semble pouvoir rien faire (quand il tombe en panne avec sa fille il conclue la séquence par un « Et maintenant» lourd de sens.).

Voiture de sport censée en dire plus sur le statut sociétal de Johnny que Johnny lui même. Johnny a perdu son âme et par conséquent le goût de la vie. Il tend maintenant symboliquement à disparaître complètement du champs, à être aspiré petit à petit, tranquillement, inéluctablement par le hors champs et cela ne semble pas le déranger: c'est ce plan superbe où, allongé sur un matelas dans une piscine de l'hôtel, Johnny dérive et et se fait avaler par le hors champs, c'est aussi dés le début du film sa chute dans l'escalier. Johnny risque de disparaître complètement, de chuter pour de bon.

Il lui faudra réassurer sa présence dans le cadre et par là même se réaffirmer, se libérer (enlever symboliquement ce plâtre qu'il possède à son bras), reprendre goût à la vie, cela par le biais de sa fille encore active (on insiste sur le fait qu'elle fait la cuisine). D'où le long dézoom sur les deux personnages affalés sur les transats de l'hôtel; Coppola réinstalle Johnny au centre du cadre, de l'espace, le monde peut respirer autour de lui. Il commence à s'y ouvrir là ou tout n'était que fermeture auparavant (zoom plutôt que dézoom et absence de contre champs).

Il faudra quitter le « nowhere » qu'est l'hôtel et trouver ce fameux « somewhere » du titre. Un quelque part, peu importe où, ou il sera possible d'exister. Et au spectateur alors de juger tout le trajet parcouru par Johnny en comparant cette première séquence évoqué ci dessus et la dernière reprenant les mêmes motifs pour les modifier: la voiture, le désert, la dépense d'énergie.

Magnifique fin, clôturant un petit bijou de cinéma où chaque plan, chaque séquence, chaque mouvement de caméra souligne et renforce la cohérence du propos.

Pierre Andrieux

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