En décidant de mettre en scène l'histoire incroyable de Aron Ralston, aventurier acrobate se retrouvant coincé dans une étroite crevasse du grand Canyon, Boyle condamne son cinéma épileptique à l'immobilisme. Une contrainte astreignante mais nécessaire, qui sonne comme un exercice de style à la manière du très réussi Buried (2010), et qui lui permet de signer un film franchement réussi.
On peut reprocher beaucoup de choses à Danny Boyle, et à raison d'ailleurs. Créateur de formes clipesques parfois outrancières et adepte de sujets extrêmes, propice à de nombreuses maladresses, il n'en reste pas moins un cinéaste intéressant, au sens du rythme aigu, toujours à la recherche d'une forme populaire idéale.
Si aujourd'hui la mode est au sarcasme et à la froideur, j'affirme avec vigueur que l'humanisme et la naïveté sont des moteurs essentiels d'émerveillement et d'émotion directe au cinéma comme ailleurs. Encore faut il se laisser aller.
Il y a trois belles idées dans 127 heures, et même si parfois elle se mêlent a un océan de maladresses et de tiques typiquement Boylien, elles font malgré tout surface et s'affirment avec force, pour finalement porter le spectateur dans le courant du film.
127 heures prend la forme d'un cinéma de l'immersion physique. C'est une expérience viscérale, proche des corps (ici un seul). Si vous êtes familier avec les lignes de ce blog, vous savez surement qu'avec Black Swan, Le Discours d'un roi et même dans une moindre mesure avec Jewish Connection, que l'année 2011 sera immersive et subjective, ou ne sera pas.
Comme dans le film d'Aronovsky, la caméra fusionne ici littéralement avec le personnage, bloqué entre deux murs de roche par une grosse pierre inamovible. Elle n'a plus rien à d'autre à filmer que cette main, ces jambes, ce visage fatigué.
Comme une caméra de surveillance, elle enregistre le temps et la décrépitude aussi bien physique que mentale, à l'image de cette scène de dialogue schizophrène qui rappelle le monologue de Gollum dans le Seigneur des Anneaux : Les deux Tours(2002). L'image divise alors sa source, se faisant tour à tour objective (la caméra omnisciente de cinéma) ou alors intra-diégétique, c'est à dire à l'intérieur de la fiction (quand elle épouse le point de vue de la mini caméra DV de Aron).
Ce mise en scène immobilisée et pourtant gesticulante comme le personnage, le film nous l'avait très tôt annoncé. Boyle y déverse au début un déluge de Splitscreen verticaux douteux, faisant s'entrechoquer des images de foule en sur-mouvement car violemment accéléré. Trivialité du monde certes, mais surtout défouloir pour les yeux et le cinéaste avant un semi huit clos statique.
Boyle trouve pourtant son rythme en pratiquant un cinéma de l'épreuve physique et temporelle.
Il faut subir et encaisser pour espérer revoir la lumière du jour. Et cela marche! Plus particulièrement avec deux séquences poignantes. D'abord la douce mais éphémère chaleur du soleil qui vient quotidiennement réchauffer les pieds du héros. Puis par la violence contenue dans la séquence de découpage de bras au couteau suisse, où l'utilisation du son subjectif nous fait habilement souffrir avec lui. Pas de doutes, nous sommes avec Aron dans cette maudite crevasse.
La deuxième belle idée qui jalonne le film et s'incarne métaphoriquement dans ce roc de pierre indéboulonnable et pourtant insignifiant, c'est l'expérience de la matérialité du monde. Aron se retrouve ironiquement renvoyé à la petitesse de son enveloppe corporelle encombrante, à son humanité. Là encore cette idée renvoie à la mis en scène contrainte de Boyle, qui s'entête pourtant à cadrer les objets les plus insolites dans des angles physiquement impossible. On se retrouve alors dans le fond de la gourde D'Aron ou même dans son bras ! Sa mise en scène lutte contre la contrainte physique du monde, comme aimait le faire par instant Hitchcock, et trouve finalement sa libération dans les images mentales du héros, donc dans la subjectivité. Procédé peu original mais nécessaire car forcement empathique. Le corps est bloqué mais l'esprit est libre.
La troisième bonne idée n'est autre que James Franco. Acteur charmant au visage attendrissant. Son regard respire l'intelligence, sa diction nonchalante et sa voix nasillarde le rapproche plus du grand adolescent que de l'adulte. Il transcende le rôle avec aisance, sans excès ni fausse note, et participe grandement à l'attachement affectif du spectateur. Très bon choix de Casting, sans quoi les choix de mise en scène de Boyle tombent à l'eau.
127 heures est donc un film accessible, immédiat, viscéral dans ces meilleurs moments et inutilement tape à l'œil dans ces mauvais. Malgré ces 1H30, le film parvient à faire l'épreuve de la temporalité et le rythme dramatique progresse sans pause. Le ressort dramatique ne tient ici plus dans la peur ou non de la mort, mais plutôt dans cette interrogation un peu SAWesque: Jusqu'à quel point sommes nous capable de sacrifier notre corps pour survivre ? On en ressort certes secoué, mais aussi apaisé, dépaysé, étrangement serein.
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