jeudi 25 novembre 2010

POTICHE de François OZON


"Le bonheur est une potiche posée sur le nez d'un mandarin ivre qui éternue", Pierre Loti.

Publié par Thomas K.

Après LE REFUGE, une méditation un peu contemplative sur le parcours d'une grossesse dérangeante dans un monde où l'Amour est un sentiment en voie de disparition (et on se met à le chercher n'importe où, là où on peut ; l'amour transcende la morale), François Ozon revient à quelque chose de plus léger, de moins désespéré, et de franchement drôle.

Clinquante est l'esthétique qui parcourt son nouveau film POTICHE, les couleurs jurent ; cette tenue rouge parmi les bois, ce jaune canari dans la cuisine, ces parapluies "arc-en-ciel" comme les appelle le fils Laurent, tout brille, tout est surfait. Jusqu'au jeu des acteurs ; on pense évidemment à 8 FEMMES et même à SITCOM, son premier film. Ozon travaille sur la superficialité, celle du cinéma, et de la vie. Pas étonnant que tout ça fasse pensé à du théâtre (le film est d'ailleurs tiré d'une pièce), après tout, "All the world's a stage", comme l'écrit Shakespeare dans le monologue introductif de AS YOU LIKE IT. Dans le dernier film d'Ozon, les comédiens déclament, réagissent trop, ou pas assez. Leurs caractères, leurs tenues, tout participe de cette impression de carte postale pastichée grandeur nature. Mais si Ozon fait un film-cliché, c'est évidemment pour lorgner du côté de la satire.

Le film à un premier niveau ne se veut pas subtil. Les bons et les méchants sont clairement définis. Les méchants, c'est Joëlle, la fille, dans une certaine mesure (celle d'être activement favorable à la repression), mais surtout Robert, le père, joué par un Fabrice Luchini qui excelle dans le rôle d'un chef d'entreprise tyrannique et complètement névrosé. Il est intéressant de noter cette tendance aux personnages implosifs dans les films français du mois.
Après Cluzet dans LES PETITS MOUCHOIRS, Luchini dans POTICHE, à son tour, incarne un personnage constamment sur la brèche, avec un bouillonement intérieur qui le pousse à la violence, celle des mots et celle des actes. Une nouvelle fois l'énergie canalisée doit être dépensée, et une nouvelle fois c'est l'entourage qui en pâtit. Cluzet et Luchini sont tous deux dans leurs films respectifs des chefs d'entreprises qui ont réussi. Ozon et Canet s'accordent à dire que l'ascension sociale primaire (devenir un bon gros chef d'entreprise en étant un enfoiré et gagner un bon gros paquet de pognon) produit des individus à la fois destestables et dangereux, inconnus pour eux-mêmes (ils ne se contrôlent pas).

Le film, donc, ne se veut pas de prime abord très subtil : Catherine Deneuve, la mère, devient la gentil patronne féministe humanitaire, le fils est un artiste progressiste qui soutient sa mère et est brimé par son père, Luchini est un despote qui porte les stigmates du discours sarkosiste : travailler plus pour gagner plus (le personnage prononce ces mots presque à la lettre à un moment du film). Donc, d'un côté le méchant sarkosiste, de l'autre la gentille progressiste (non pas que cette configuration me déplaise, hein). Mais le film se veut parfois un peu plus ambigue, notamment avec la fille (Judith Godrèche impressionnante de superficialité, et c'est évidemment un compliment dans le cadre du film) qui nage un peu entre son père et sa mère, sans savoir où arrêter son choix (même si le dernier plan l'arrêtera finalement) et avec le personnage du député-maire Babin interprété par Depardieu, qui flotte entre convictions politiques et amour. Et si Deneuve incarne un progrès social, on découvrira que son personnage est d'une infidelité insoupçonnée, ainsi ré-associée au personnage méprisable du mari, le trompeur par excellence.

Mais ces ambiguïtés restent relativement diffuses, et le film se complait dans une atmosphère bon enfant où être gentil c'est bien, et être méchant, ben c'est mal. Qu'importe puisqu'il l'assume totalement, il affiche clairement la superficialité de son message et de son esthétique ; voire le discours final de Deneuve qui vient de gagner les élections : "Je suis votre maman à tous !" On est dans cette forme d'excessivité qui confine à la drolerie. Et le film est drôle, sérieusement si vous voulez vous marrer c'est pas une mauvaise idée d'aller le voir.

L'esthétique bonbon flamboyante, qui amène quelques fois des images originales et vraiment bien construites, n'enlève pas au film une certaine mélancolie. Celle du temps qui a passé (de toute façon la mélancolie est une affaire de temps), celle surtout de voir ce qu'on est devenu, de voir que l'espoir et le bonheur plient sous l'usure du temps. Assez émouvant est le moment où Robert (Luchini) tente une incursion dans le lit de sa femme, comme un petit garçon. Ils évoquent leur lune de miel : un flash back nous donne à voir des corps splendides serrés l'un contre l'autre sur la plage. Puis l'image présente revient. Tout ça a bien disparu, et pour toujours.

En travaillant l'image-clichée, Ozon sépare présent et passé : le passé, c'est les jeunes et magnifiques corps qui baisent, s'etreignent, c'est la fougue, la puissance de l'émotion. Le présent, c'est le triste constant qu'il ne reste plus qu'un combat à mener lorsque jeunesse est passée : le combat politique.

Entre Robert le despote capitaliste et Babin le communiste bedonnant, Deneuve alias Suzanne vient greffer sa politique qui n'est pas une : la communion et la compréhension humaine. Aime sincèrement les gens, les gens t'aimeront sincèrement. La séquence final est cette victoire jusqu'au-boutiste de la célébration d'une humanité retrouvée ; on chante tous ensemble "c'est beau la vie", et les deux adversaires, Babin et Robert, suivent tous les deux à travers la distance des médias cette victoire de la femme sur l'homme, de l'humain sur le politique. Au fond, le combat de Suzanne, c'est celui pour redonner un sens à son humanité, et à celle des autres (les ouvriers, ses enfants, Nadège la secrétaire).

Mais le film reste essentiellement un film sur les acteurs ; ils brillent de milles feux. Des paroxysmes de colère de Luchini à la servilité débilisante de Karin Viard en passant par une ré-appropriation de la scène de danse de PULP FICTION avec Depardieu et Deneuve dans les rôles de Travolta et Thurman, on en a pour son argent. Le scénario est très bien écrit, les répliques sont drôles et justes dans leur non-justesse. Depardieu campe un personnage assez modeste et touchant, et cette modestie lui rend honneur.

En conclusion, POTICHE assume son atmosphère bon enfant, limite parodique, et on retrouve le François Ozon de SITCOM et 8 FEMMES. Drôle, bien interprété, bien écrit, le film pêche un peu par une légère baisse de régime, une perte de rythme sur le dernier quart d'heure. Mais que cela n'empêche pas les amateurs de bon cinéma français de faire un petit détour par la case Ozon. Osons Ozon, si j'ose dire.

++





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