mercredi 29 décembre 2010

Nowhere Boy : rock'n coeur, coeur'n roll


Publié par Thomas K.

He's a real nowhere man
Sitting in his nowhere land
Making all his nowhere plans for nobody
Nowhere man, chanson des beatles.

De la jeunesse de John Lennon aurait pu naître un film truculent, une pop-fiction kaléidoscopique à 100 à l'heure, une histoire palpitante avec un personnage déluré et délirant.

Mais Sam Taylor-Wood, photographe-plasticienne et vidéaste, en fait une incursion intimiste dans une histoire de famille remplie de non-dits. Le biopic en devient la contemplation d'une jeunesse volée, envolée, et la tentative désespérée d'être un môme juste encore un peu.

John, en pleine adolescence vit chez sa tante stricte et sèche comme une brindille sous le soleil brûlant de l'été aride, Mimi. Ce gamin nonchalant, paumé, en manque d'affection, découvre que sa mère, Julia vit tout près de chez sa tante. Retrouvailles. L'histoire de John est celle d'un déchirement entre deux figures de la mère, complètement opposées ; Julia est délurée, rock'n roll, bourrée de gestes et de paroles tendres, mais superficiels, lorsque chaque rarissime preuve d'amour de Mimi est un ilôt d'amour dans un océan d'austérité, mais un îlot sincère.

Et John ne sait plus. Qui aimer, qui être, où aller. Alors il copie le King, il copie Buddy Holly, et il monte un groupe. On assiste à la rencontre avec le tout jeune MacCartney, et puis aussi Harrison. On sourit face aux bêtises de lycéens, à l'éternel côté provocateur de John. A son renvoi du lycée, et sa conviction que sa place est ailleurs. Le film est assez lent par rapport à ce qu'on aurait pu imaginer, une espèce de routine s'installe entre les petits concerts un peu minables du groupe, les visites à la mère, les scènes de tension avec la tante. La caméra n'est pas l'oeil de la passion du mythe mais plutôt celui de la volonté de rendre compte d'une histoire essentiellement humaine qui pourrait être celle de n'importe qui. L'histoire n'est jamais présentée comme exceptionnelle.

Un film sur les relations humaines, donc, saisies dans toute leur complexité. On sent la volonté tragique de John d'être reconnu aux yeux de sa mère, on sent sa jalousie, sa rivalité avec un MacCartney trop doué, trop jeune, trop raisonnable, trop calme ; il contraste avec l'agitation perpétuelle de Lennon, toujours en mouvement, toujours bringueballé de-ci et de-là. On sent l'impossibilité pour Mimi d'exprimer un amour maternel qui est pourtant présent. Rien d'exceptionnelle, rien de gigantesque, juste une tranche de vie. Même si c'est celle de John Lennon. Et franchement, c'est touchant. Pas besoin d'être fan de l'idole Lennon pour apprécier le film. Avoir un coeur ça devrait suffire.

Et puis, faut aller voir ce film, sérieux, rien que pour la façon dont Taylo-Wood filme le corps de Aaron Johnson, l'interprète de Lennon. Elle le filme avec beaucoup d'affection, avec un vrai travail plastique, et un des vrais attraits du film reste de voir Johnny Boy se trimballer avec ses grosses lunettes carrées, son manteau d'hiver et sa guitare sur le dos. C'est un corps morphosable, un corps qui se cherche, qui s'apprend, et qui se contemple, avec émotion et puis nostalgie aussi.

Nowhere Boy, le garçon de nulle part. Le film reste un mélodrame, et son personnage principal est un loser, une petite frappe ratée jetée en pâture au monde compliqué des adultes et de leurs choix, leurs émotions, incompréhensibles et impénétrables pour un adolescent immature. Lennon s'accroche à travers sa mère à une jeunesse qu'il n'a jamais eu et qui s'est déjà envolée. C'est un film sur la fin de l'enfance. Sur la solitude, aussi. Lennon ne créé pas seulement un groupe de musique, il créé une famille. MacCartney devient un frère, et donc un rival.
La fin montre comment Lennon en arrive à se prendre en main seul. Comme un grand. Un abscès a été percé. Trois petits moments qui ont fait palpiter mon petit coeur :

- La scène où la "petite-amie" (disons qu'elle l'est de façon sporadique) et une amie à elle rencontre Lennon dans la rue. Son amie lui dit "laisse tomber, c'est qu'un loser", et elles partent, le laissant seul à son désespoir.

- La scène magistral au cimetière avec MacCartney. Lennon le frappe, puis le prend dans ses bras. Cette scène est lourde de tout ce qui s'est passé et tout ce qui se passera entre les deux frères. Le filmage fait peser sur eux une tension émotionnelle, mélancolique, qui laisse difficilement indifférent.

- La dernière scène avec Mimi. Quelque chose passe vraiment entre les acteurs.

Alors oui, le film a un côté pleurnichard. Oui, c'est pas la grande aventure palpitante de ce coquin de Lennon. Mais le parti-pris de Taylor-Wood est osé et très réussi, le film ne frappe pas là où on l'attend, et c'est tant mieux, parce quand les acteurs se donnent comme ça, et que la réalisation, sobre mais efficace, capture une véritable tension émotionnelle de la sorte, ben je vois pas pourquoi on se priverait, hein. Alors, foncez, foncez, qu'attendez-vous ! Un peu de larmes, un peu de rires, beaucoup de rock'n roll, secouez bien, et vous aurez un film très bien léché.

++

Thomas k.

mercredi 22 décembre 2010

Easy A


Rhiannon: You're being pretty cavalier about this. Aren't you supposed to be eternally in love with him and shit?

Olive Penderghast: Yes... I believe so, if I was the Gossip Girl in Sweet Valley of the Traveling Pants.


A force d'avoir lu mes pages, vous commencer certainement à connaître mon combat persistant visant à promouvoir le renouveau de la comédie américaine et plus particulièrement du Teenage-movie.

Après Superbad (2007), Youth in revolt (2010), Scoot Pilgrim Versus The World (2010) et le superbe Adventureland (2009) pour ne citer qu'eux, je viens de dénicher une nouvelle petite perle qui vient encore confirmer mon intérêt doublé d'un plaisir coupable pour ces films pour ados dont la beauté innocente n'en finit pas de me charmer.

Easy A remplit parfaitement le contrat du Teenage movie intelligent et drôle. Le film traite de la rumeur, la vitesse à laquelle elle peut se propager au lycée, la manière dont elle grossit et comment on en perd très vite le contrôle. L'originalité étant qu'on sort enfin de l'archétype de l'adolescent de sexe masculin, loser maladroit et dernier des romantiques, pour un personnage féminin attachant, maîtresse de son destin. Olive est une jeune femme libre, prisonnière d'un univers attardé qu'elle va devoir bousculer de toute part pour s'affirmer.

Le film est mené tambour battant sous forme de chapitres. L'histoire d'amour, elle, ne prend forme que sur le tard et devient presque le cadet de nos soucis. Le réalisateur s'attache plus à dérouler tout un tas de personnages secondaires et à renforcer l'empathie avec l'héroïne via une voix off omniprésente mais jamais étouffante. Olive invente gentiment des mensonges à sa copine sans se douter que le tout va prendre une ampleur imprévue. En moins des quelques jours, la rumeur court au lycée comme quoi notre héroïne est une vrai S****! Consciente qu'elle tient tout le lycée par les valseuses avec ses mensonges que tout le monde gobe dans la seconde, elle va pousser le concept un peu plus loin...Trop loin?

Une fois encore, les références sont à aller chercher du côté de John Hugues, réalisateur américain dont j'avais mentionner le nom dans mon article sur Adventureland. Elles sont ici explicites comme vous pourrez le voir puisque notre héroïne cite elle même le réalisateur et convoque des images de ces films avec une certaine nostalgie. Les films de Hugues semblent être devenus une référence assumée depuis la que la « vague Apatow » a submergé la comédie américaine. De manière plus générale, ce sont les années 1980 qui ressurgissent avec vigueur puisque Adventureland se déroulait précisement à cette époque et Easy A choisit « Don't you forget about me » de Simple Minds comme thème musicale emblématique.

Nos nouveaux héros recherchent l'authenticité. Ce ne sont pourtant pas forcément des marginaux, au contraire, c'est le monde autour d'eux qui semblent ne plus tourner rond. Easy A, comme tout bon Teenage movie qui se respecte, ne fait pas dans la demi mesure et déploie un humour agressif attaquant aussi bien la religion que le sexe ou la place de la femme dans un univers lycéen californien aux repères flous.

Jouer un rôle, se faire passer pour ce que l'on est pas, le thème n'est pas nouveau c'est vrai puisqu'il suffit de revoir Les tricheurs (1958) de Marcel Carné pour constater que la question de la quête identitaire chez les jeunes n'est pas nouveau. Easy A a tout de même l'énorme qualité d'hérité d'un humour corrosif, d'une vision moderne et fraiche de la jeunesse américaine, et surtout d'excellents acteurs.

Et oui, après Jonah Hill, Michael Cera et l'incroyable Jesse Eisenberg qui, à mon avis, remportera surement l'oscar du meilleur acteur cette année (The Social Network 2010), je fais la promo de cette superbe actrice qu'est Emma Stone. Vous l'avez surement remarqué dans Superbad ou Zombieland (2009). Elle est, je pense, la jeune actrice à surveiller de très près. Des yeux de chat et un grain de voix à tomber. Emma Stone est drôle, maladroite, jamais tape à l'œil, bref un charme fou. Elle porte le film à elle toute seule sans aucun effort.

Easy A, combine à merveille les acteurs confirmés un peu oubliés et les futurs talents d'Hollywood. C'est l'exemple même de la stratégie financière du Teenage movie contemporain : Éviter les stars qui coutent cher pour mieux investir dans les jeunes talents et les acteurs confirmés, peu exposés aux médias. Pour accompagner Emma Stone on retrouve donc Lisa Kudrow (Phoebe de Friends), Malcolm Mcdowell (Orange mecanic 1971) ou encore l'excellent Stanley Tucci (Le terminal 2004, Lovely Bones 2009).

Easy A vient donc s'inscrire sans difficulté dans la catégorie des Teenage movie à conseiller. Narration fluide, photographie chaude et bande son imparable. Il s'amuse à casser les codes du genre et à éclabousser la vision fantasmée de l'univers californien tout en préservant son charme photogénique intacte. Encore une bonne trouvaille à dévorer sans plus attendre.

samedi 18 décembre 2010

Tron : Legacy Original Soundtracks


A défaut de pouvoir vous parler de Tron : Legacy qui ne sortira sur les écran français qu'au mois de février, parlons de la bande originale du film composée par ce qu'il convient d'appeler, les deux plus grands artistes français de la décennie : Daft Punk.

Disons le d'entrée, je ne suis en rien un musicien accomplie et je ne pourrais donc pas avoir la précision d'analyse de certains. J'écoute en revanche beaucoup de bandes originales et je considère que la musique de cinéma est trop peu analysée, alors qu'elle est un élément essentielle du médium.

C'est également pour cela que cette analyse ne peut être qu'une première impression. En effet, une bande originale n'est pleinement analysable qu'une fois associée aux images. Certaines peuvent cependant s'écouter de manière autonome et c'est souvent comme cela que l'on parvient à déterminer qu'une composition à du corps et une construction.

Résolvons d'emblée le problème Daft Punk. Que ceux qui attendaient le nouvel album de nos deux surdoués passent leurs chemins. Les Daft contribuent ici à la construction d'un grand tout : Le film.

Ce qui veut en dire premier lieu qu'ils répondent à une commande. C'est un exercice de style. Composer une bande originale de film tout en tentant d'y glisser une forme d'originalité propre au groupe : Ici l'apport de compositions électroniques en adéquation avec l'univers du film que les Daft Punk connaissent bien.

A cette exercice il faut reconnaitre que nos deux français s'en sortent plutôt bien. Ils composent une musique épique, fortement influencée par le travail de Hanz Zimmer ( Gladiator (2000), Inception (2010), The Dark Knight (2008), la liste est longue...), soit un agencement d'instruments à vent produisant des sons à la limite de l'infra basse, et de violons agités. A cela, Les Daft Punk ajoutent des nappes de son électroniques plus discrète, plus en accord avec le travail de Vangelis. Il s'agit là de créer une musique profonde, caverneuse, capable de poser rapidement une atmosphère lourde et en même temps apte à se glisser derrière la narration si nécessaire. A trois reprises le rythme s'accélère et par une fois, l'électronique prend l'ascendant sur le symphonique avec l'incroyable « Derrezzed » qui s'affirme comme la piste la plus proche de l'univers Daft Punk et qui prolonge la forme éléctro pleinement approchée dans Human after all (2005).

Le thème principale est également impressionnant de par sa puissance. Il est à de nombreuses reprises décliné au synthétiseur et rappelle alors dans sa forme, le thème du premier Terminator (1984) composé par Brad Fiedel qui posait déjà le conflit Symphonique/Électronique avec affirmation. Ici, il s'agit plus de mêler les deux formes avec harmonie.

On constate très peu de variation. C'est une bande originale au premier degré, grave et inquiétante, souvent lyrique, toujours hypnotique, à la manière de ce que fait l'artiste Aanorak, ce qui laisse penser que le film se veut résolument sérieux et mélancolique.

Les Daft composent des atmosphères, jouent avec les codes de la musique de film, ils n'empêche que l'on reconnait sans peine leur patte dans presque chaque titre (End of line par exemple). Au lieu de construire des pistes amples au format 5 à 8 minutes comme c'est souvent le cas dans les compositions de bande originales, Daft Punk opte pour une suite de motifs courts. Certaines pistes ne dépassent pas 1:30 minute.

De même,ils s'éloignent volontairement du travail précurseur de Wendy Carlos, compositeur sur le premier opus, qui jouait lui sur des mélodies électroniques improbables, imprévisibles pour ne pas dire expérimentales.

L'approche est ici résolument grand public, ce qui n'est en rien péjoratif, et tout laisse à penser que, couplée à l'image, la musique des Daft Punk sera d'une efficacité grisante. Certaines pistes comme « The game has changed », « Outlands » « Derezzed », « Flynn lives », « Finale » et « Tron Legacy end titles » vous donnent déjà le vertige. De même, dans les nombreuses critiques du film qui commencent à affluer sur le net, la musique des Daft Punk est très positivement accueillies.

Bon présage pour un film promet d'être une sacrée expérience.


Clément Levassort.



jeudi 9 décembre 2010

Monsters de Gareth Edwards

Critique de Pierre Andrieux


Premier long métrage du cinéaste Gareth Edwards, Monsters est un film surprenant, troublant, inattendu ainsi qu'une vraie réussite formelle.

Une sonde de la Nasa s'écrase sur terre, au Mexique plus précisément. A son bord une vie extraterrestre qui va se développer peu à peu et pousser les gouvernements mexicains et américains à mettre en quarantaine et condamner une partie du Mexique pour contenir l'invasion. Un no mans land se dresse entre les deux pays (fantasme réalisé de la lutte contre l'immigration?). Deux individus: Andrew et Samantha cherchent à regagner les USA et se voient obliger de traverser le territoire isolé...

En lisant ce script on pourrait s'attendre ( ce fut mon cas) à un petit film de SF classique et sympathique. Vous voyez le genre: des bestioles ragoutantes, des intrépides luttant contre l'envahisseur à coup de lance roquette, des scientifiques réfractaires, j'en passe et des meilleurs, tout cela avec profusion d'effets spéciaux magistraux et de scènes d'actions de haute volée...Or Monsters n'est rien de tout cela.

Le film se veut réflexif, intime, poétique, rejette l'action et lui préfère la ballade ainsi que la remise en question. Bref, un film d'auteur au paradis du blockbuster? C'est un peu cela.

La question de départ que le film pose est la suivante: qui sont vraiment les monstres dont ce titre nous parle?

On pense alors immédiatement à District 9 de Neil Blonkamp. Et effectivement le film d'Edwards se situe, à un premier niveau, dans la droite lignée de District 9 (mais il emprunte aussi à La Route de Hillcoat ou à Avatar). Les films de Blonkamp et Edwards mettent en crise le genre, le questionne, l'interroge. Ils ne se situent plus au moment de l'invasion, du premier contact qui tournait immédiatement à la confrontation et à la lutte pour la survie de l'espèce humaine, que remettait en question l'Alien. Combat qui permettait à la nation de se ressouder, de s'unifier (Independance Day). Bref l'Alien (tout comme le monstre) servait à la restructuration de la communauté à un niveau intime (réparer les fractures, remettre sur pied le foyer comme dans La Guerre des Mondes.) autant qu'à un niveau universel (unir les hommes contre l'envahisseur, les petites différences disparaissent, tous égaux, rachat de l'humanité voir Le Jour où la Terre s'arrêta...).

Mais dans District 9 et Monsters le récit débute alors que cela fait bien longtemps que les extraterrestres sont apparus. On arrive après la bataille (si bataille il y'a eu). La grande purge n'a jamais eu lieu. Rien n'a été ressouder, au contraire, encore plus de frontières, de murs, de barrières. On s'est accommodé tant bien que mal de l'Alien , on l'a assimilé, parqué, on tente de le réguler. Voilà les points communs entre les deux films. Pour le reste ils sont totalement différents, District 9 ne rechignait pas devant une bonne dose de spectaculaire et d'action made in Hollywood, chose que rejette le plus possible Monsters. Tous deux ont tout de même le mérite de soulever la question qui fait mal: Ne sommes nous pas les monstres de ce titre racoleur? C'est ce qu'induit le début de Monsters.

Un bon début devrait toujours être très significatif de l'ensemble du film et mériter la plus grande attention. On devrait pouvoir y retrouver déjà la plupart des discours que va tenir l'oeuvre, les thèmes qu'elle va aborder et questionner. Le début de Monsters est à ce titre un bon début de film. Nous sommes de nuit au coeur d'une patrouille de soldats américains et en point de vue quasi subjectif puisque l'on voit à travers une caméra située sur un casque de GI.

On a donc une vision inconfortable, peu précise, tremblotante, le parti pris est réaliste (tout le film est tourné essentiellement en caméra porté). Détail important un des soldats chantonne « La Chevauchée des Walkyries » de Wagner. Référence direct à Apocalypse Now et premier doute censé assaillir le spectateur: en effet dans le film de Coppola la musique de Wagner accompagne le raid meurtrier, barbare et ignoble des hélicoptères cramant à tout va. Plaisir jouissif de la destruction et du chaos par les « Dieux » américains du haut de leurs Olympes volantes.

Alors, ne serait on pas du coté des bad guy dans ce début de film? Un soupçon renforcé par la fin de cette séquence où a lieu l'affrontement de la patrouille avec une créature (un mélange de pieuvre et d'araignée). Est ordonné de lui balancer un missile. La caméra adopte le point de vue du missile allant s'écraser sur le monstre. Le moment de l'impact est alors remplacé par l'apparition du titre, ayant valeur de questionnement adressé aux spectateurs. Les monstres ne seraient ils pas les types balançant un missile au milieu d'une zone habitée et se foutant des dommages collatéraux plutôt que les extraterrestres dont on apprendra par la suite qu'ils sont inoffensifs si on ne les provoque pas?

Cette remise en question du statut de l'ennemi est présente tous le long du film et trouble le jugement du spectateur. Peu à peu se dessine les vrais monstres: les puissances armées, et aussi les médias (le héros, Andrew, est photographe, Edwards insiste entre autre sur le fait que celui ci est beaucoup mieux payé pour photographier des cadavres et des victimes ( aliens ou humains)).

L'armée -donc le gouvernement, et donc la nation- est dans la peur terrible de « l'autre », du différent, celui qui sortirait des normes. Il faut l'exclure, à défaut de l'exterminer.

Mais, « l'autre n'est jamais que la partie de soi que l'on a pas osé regarder en face » pour reprendre une expression de Thoret. Les monstres nous renvoient à nous même. Ils incarnent les valeurs refoulées de la société, ils mettent à jours ses béances et ses lacunes les plus profondes. Dans le film c'est notre rejet de la communication, notre égoisme, bref notre manque d'humanité qui nous est renvoyé en pleine face. Pas de communication entre nous, pas de contact, juste de l'interaction.

Une interaction symbolisée par la récurrence et l'importance de la télé dans le film. « Nous sommes dans un univers où il y'a de plus en plus d'information et de moins en moins de sens....L'information dévore ses propres contenus. Elle dévore la communication et le social » écrivait Jean Baudrillard. Les Mass-médias magnétisent, procurent le simulacre du social et de la communication. Ils se veulent relai de l'information, du message; ils ne sont qu'une finalité (« le médium est le message » proclamait Mac Luhan). Finalité où se perd l'individu magnétisé par l'écran et les images, auxquels il s'abandonne. Seul reste aujourd'hui des corps interagissant entre eux mais essentiellement seul et des images tournant en boucle sur des écrans de télé.

Séquence magnifique illustrant cela: les tentacules d'un des monstres pénètrent dans une station service au sein de laquelle est cachée Samantha. Elles fouinent et finissent par se connecter à la télévision diffusant -comme dans tous le film- des images des monstres. Elles semblent véritablement absorber le sens, le pomper. On comprend que les monstres sont doués de pensées. L'héroine cachée près de la télévision finit par débrancher celle ci. Dans cet acte se trouve cristallisé tous le mouvement du film. On pourrait dire à première vue que Samantha fait cela pour sauver sa peau, et éloigner les tentacules de la station. Soit, cela se tient mais peut être peut on avancer qu'avec cet acte symbolique c'est moins un acte de protection de soi qui s'opère qu'un acte de conservation de l'autre. Empêcher ces créatures de se laisser happer par le flux continu et insensé des informations (il y'en a tellement que la pauvre tentacule risquerait de rester un bon bout de temps collé à la télé.), préserver une forme de pureté chez cet autre. Supprimez enfin le grand ennemi: débrancher la télé! La vrai communication ne réside pas dedans. (la suite de la séquence que je tairais ici vient confirmer l'idée.)

Tous le film est renversé. On ne cherche plus à détruire l'autre mais à le préserver car on a compris que l'autre possédait encore ce que nous avons perdu (et c'est pour cela qu'il est pourchassé): une humanité, un sens.

Andrew et Samantha, en se coupant de la civilisation vont réapprendre à communiquer, ils vont apprendre ce qu'est aimer- et non pas désirer (le sexe comme interaction mais jamais comme pur échange: C'est le protagoniste qui, voulant coucher avec l'héroine mais recaler sur le pas de la porte, en choisit une autre- Interchangeabilité répugnante des corps).

Au contact d'abord symbolique de la nature, de la jungle ( le coté fable écologique du film) dans laquelle ont proliféré les créatures (ayant même fusionné avec elle, on sent l'influence d'Avatar), puis enfin grâce au spectacle sublime de la dernière séquence, auxquelles les deux héros assistent, ceux ci finissent par s'embrasser. Baiser pur et cri de liberté et d'amour qui a attendu les dernières secondes du film pour naitre. "L'autre" n'était pas ennemi, mais modèle.

Un instant seulement, une poignée de secondes; cela avant que les militaires ne les sépare et ne les emmène chacun d'un coté de l'écran. Retour à la civilisation. La notre, où il n'y a plus d'échange possible. Juste deux dernières phrases celles du film:

Andrew: C'est terminé.

Samantha: Je ne veux pas rentrer à la maison.




lundi 6 décembre 2010

Raiponce


Hook Hand Thug: Go, live your dream.
Flynn Rider: I will.
Hook Hand Thug: Your dream stinks. I was talking to her.

Mais ou était passé Disney ? C'est la question que l'on pourrait se poser tant le mot animation rime aujourd'hui avec Pixar ! Il se trouve que Disney a toujours été là !

En effet, ce que l'on sait moins, c'est que Pixar Animation Studios appartient à la société Walt Disney Pictures depuis 2006, et qu'il travaille ensemble, non sans quelques tensions, depuis 1995. Évidement il y a tout de même une différence. Pixar produit les films et Disney ne fait que les distribuer. Il existe cependant un autre studio d'animation sous Walt Disney Pictures nommé Disney Animation Studios, qui tente de faire subsister l'imagerie et l'esprit de Disney dans une décennie dominée par la modernité de ton et de style incarné par Pixar avec Toy Story (1995), Finding Nemo (2003) ou encore Wall E (2008) pour ne citer que ceux là. Dans une autre mesure, en bon rival on retrouve Dreamworks Animation Studios avec Shrek (2001) , Madagascar (2005) ou Kung Fu Panda (2008) mais de manière plus inégale.

Disney à pourtant tenter de tirer timidement son épingle du jeu, et après deux tentatives un peu fade sans être déplaisante : Volt (2008); The Princess and the Frog (2009), il semble que le studio légendaire vient de trouver avec Tangled l'inspiration parfaite qui va permettre une refonte totale de l'esprit Disney, tout en gardant la structure solide qui fait la singularité de ses œuvres. Pour le dire plus simplement, il s'agit de trouver un équilibre subtil entre classicisme et modernité.

Afin d'orchestrer cette refonte, les réalisateurs ont opter pour un pari ambitieux, qui n'est pas sans risque, le choix d'un conte des frères Grimm : Princesse Raiponce. Dénominateur commun efficace il est vrai, puisque tout le monde connait ou à entendu parler de ce conte ou une jeune princesse à la chevelure tentaculaire est retenue de force dans une tour abandonnée au milieu de la forêt, mais aussi retour à une matrice originelle qui à fait les beaux jours de Disney : Le conte traditionnel, topos ancestral incarné par les figures symboliques de la princesse, du château merveilleux et de la sorcière castratrice. Quelles sont alors les procédés cinématographiques qui vont élever ce conte de facture classique au rang de spectacle moderne ?

S'inspirant en premier lieu de l'approche subversif de Shrek, les créateurs de Raiponce veulent bousculer les codes du conte sans pour autant basculer dans la parodie et sacrifier la poésie, essence même du spectacle Disney. Accélération des dialogues et second degrés sont alors convoqués. Les échanges verbaux sont succulents et s'appliquent à retranscrire ce qui est à l'œuvre aujourd'hui dans la série télévisée américaine : Punchline, sarcasme et trop plein de paroles. Il s'agit aussi de créer des personnages capables de mettre à l'épreuve les codes classiques, de les déconstruire pour les reconstruire par le rire. Disney se moque de Disney et ça fait du bien. Pour autant, on conserve la structure classique des chansons qui, à la manière des comédies musicales, s'insèrent dans la narration. Raiponce se veut résolument plus léger et n'hésite pas déployer des grand moments burlesques, de purs gags visuels comme quand notre princesse tente en vain de faire rentrer Rider (aventurier intrépide) dans une armoire. L'héroïne est comme à l'habitude affublée d'acolytes singuliers, ici un petit caméléon et un cheval au fort tempérament répondant au nom de Maximus, avec certitude le meilleur personnage du film!

Autre changement bienvenu qui était déjà à l'œuvre dans Volt, c'est le concept d'accélération aussi bien que de mouvement continue, qui offre, avec le recours à la 3D, un spectacle grandiose, ou quand l'animation prend le meilleur des films d'actions. Les séquences de poursuites à cheval sont enivrantes de par leur vitesse, et la grande séquence où le barrage d'eaux se déverse sur les protagonistes est monumentale, preuve que les films d'animations utilisent au mieux la 3D. Raiponce est pour cela exemplaire. Suivant à la lettre les préceptes de « Seigneur Dieu tout puissant James Cameron », le travail de profondeur de champs est remarquable. Travaillé avec subtilité, le tout devient magique quand nos deux héros, assis dans une petite barque, admirent avec contemplation les milliers de lanternes multicolores qui s'échappent de la ville. Jouant avec le reflet des centaines de lanternes sur l'eau, nos yeux déboussolés se perdent dans le plan, ciel et mer se confondent, puis, par la magie de la stéréoscopie, deux petit lampions se détachent du fond et se mettent à valser ensemble tandis que Raiponce et Rider, perdus dans l'immensité de ce spectacle de lumière, sentent naitre leur amour. Pure poésie, magie de Disney.Une beauté plastique somptueuse de par l'exellence de l'animation. Il suffit que Raiponce passe furtivement la main dans ses cheveux, et on jure rien qu'un instant d'avoir devant les yeux une véritable actrice.

Raiponce aborde avec justesse le thème de la perte de l'innocence et la quête d'identité. Elle doit quitter cette tour, découvrir le monde et, par la même occasion découvrir qui elle est. Flyn Rider sera le prétexte parfait pour se délivrer de l'emprise de sa mère. Le film, parce qu'il raconte la découverte d'un monde, convoque également les thèmes déjà présents dans Avatar (2009). Jake Sully, tout comme Raiponce, voit la découverte de Pandora comme une révélation. Une nouvelle réalité s'offre à la lui, une réalité ou il doit tout réapprendre : Sentir, toucher et voir à nouveau. Quand Raiponce quitte sa tour au début du film, l'idée n'est pas différente.

On peut même dire que la séquence relève presque du mimétisme en comparaison de celle où Jake utilise son Avatar pour la première fois. Récurrence du gros plan sur les pieds touchant le sol, prise de conscience d'une nouvelle perception des choses puis accélération du personnage qui se met à courir dans une euphorie frénétique. Dans les deux cas il s'agit d'une renaissance. La chanson d'amour entre Flyn et Raiponce fait d'ailleurs écho à la phrase culte du film de Cameron. Nommée « I see the light », on peut retrouver ce genre de paroles : « Now I'm here and suddendly, I see » qui rappelle évidement le "I see you" des Navy's.

On a dit le film doté d'un ton plus léger, notamment grâce à une humour efficace, il n'empêche que les dernière minutes vous rappèleront sans aucun doute les séquences les plus sombres de Disney. Quand le décors féerique s'estompe et laisse place à une lumière expressionniste et une atmosphère inquiétante, on reconnaît alors la capacité du studios à jouer avec les tonalités de manière impressionnante.

Raiponce avait pour mission de réconcilier le public avec Disney, il mérite en tout cas tout les honneurs, dont celui de recoller à l'éternel slogan du studio : Des chefs d'œuvres à voir et à revoir.







vendredi 3 décembre 2010

Machete: Robert Rodriguez "Fun Fun Fun"

Critique de Pierre Andrieux :

Si on devait citer les deux plus grands tarés-barés du cinéma américain d'aujourd'hui nul doute que les deux compères Quentin Tarantino et Robert Rodriguez arriveraient bien en tête.
Tarantino a connu dés son premier film un succès important (Reservoir Dogs 1992) qui s'est transformé en gloire totale avec Pulp Fiction (1994) et en admiration quasi béate de la part de tous les jeunes dans le vent après Kill Bill 1 et 2, phénomène confirmé par Death Proof et Inglorious Basterds.

Robert Rodriguez semblerait lui être l'éternel second, moins connu du grand public (mais comment surpasser Tarantino à ce niveau là...). Il suffit pourtant d'un coup d'oeil en diagonale à sa filmographie pour se rendre compte que le niveau est bien présent, soit au hasard: le culte Une Nuit en Enfer (1996) dans lequel joue Tarantino, l'ovni Sin City (2005) où une séquence est réalisée par Tarantino, ou encore le délirant et génial Planète Terreur (2007) faisant partie du diptyque Grindhouse.

Machete -et tous les fans de Planète Terreur s'en souviendront- était au départ une bande annonce fictive hilarante, créée spécialement pour préfigurer le film, sur un justicier mexicain invincible -et grand séducteur- joué par l'indescriptible Danny Trejo (qui a déjà collaboré un grand nombre de fois avec Rodriguez même si c'est la première fois qu'il figure en tête d'affiche).
Trois ans après voilà donc notre Machete en salle. Tous les ingrédient de la bande annonce ont été soigneusement conservés et inutile de dire que l'on passe une heure et demi de folie en compagnie de notre roi de la machette.
Dés la séquence d'ouverture Rodriguez annonce la couleur, tout son cinéma dans ce qu'il peut donner à voir de mieux y est présent: ce sera sans conteste sanglant, indéniablement sexy, profondément bourrin, carrément drôle et au final purement jouissif.

A la question confuse du maniérisme (auquel on associe souvent nos deux cinéastes) et de son bien fondé nous ne répondrons pas ici. Nous avancerons seulement l'idée que Rodriguez -tout comme Tarantino- est plus un cinéaste parodique et maniéré que maniériste (en prenant le maniérisme au sens que lui confère l'historien de l'art Frederick Hartt c'est à dire comme "prenant en charge une crise de la représentation classique" et étant indissociable d'une crise de confiance face au pouvoir venant alors se refléter dans l'art.) même si Machete pourrait être l'exception qui confirme la règle (le discours politique du film est en effet non négligeable, après la "Blaxploitation" bienvenue à la "Mexploitation").

Le premier sujet de Rodriguez c'est avant tout le cinéma. Sa vision du monde est filtrée par le regard de cinéphile qu'il porte sur celui-ci. D'où le gros travail sur l'image et la forme: on recherche l'esthétique, le geste, le mouvement qui marquent le spectateur et qui le renvoient à sa propre connaissance de cinéphile. Rodriguez aime le cinéma et il l'aime à l'ancienne, vintage (les influences il faut massivement les chercher du coté de la série B voir Z).
Ce n'est donc pas innocent si notre brave Machete est complètement anachronique; C'est symboliquement le portable qu'il écrabouille au début du film. Il fait dans le rustique, c'est un héros old school plus proche de John Mc Clane que de Néo.
"Machete n'envoie pas de textos" répond t'il à une Jessica Alba incarnant son antithèse totale (image de l'héroine moderne s'entrainant physiquement en jouant à la Wii) mais "Machete improvise" et finalement Machete l'emporte encore une fois: il botte les fesses des red necks et conquiert le coeur de glace d'Alba ( "ICE" sont les initiales -symboliques- du département dans lequel elle travaille).

Mais il y'a parfois ce petit sentiment de mélancolie qui étreint le spectateur à voir la démarche lourdaude et pataude de Trejo, son inadéquation au monde moderne (tout comme John Rambo ne pouvait s'adapter à l'Amérique post vietnam). Machete se veut mythe, légende, "Bigger than life", il n'aspire qu'à ça (c'est la dernière phrase qu'il prononce: "pourquoi vouloir redevenir un homme quand je suis déjà un mythe"). Et à travers lui c'est un hommage au cinéma américain, à son amour des histoires et à sa capacité incomparable à créer des archétypes mythiques, que met en scène le cinéaste. Capacité que l'on a de plus en plus de mal à trouver dans la production actuelle (on recycle les grands, les anciens comme avec Red mais qui pour les remplacer? Si c'est vers Ben Affleck, Hayden Christiansen ou pire Daniel Radcliffe actuellement à l'affiche qu'il faut se tourner alors qu'on m'achève tout de suite...).

Voir un film de Rodriguez et spécialement le Grindhouse ainsi que Machete- peut être comparé à s'écouter un album ou une compile des Beach Boys ou de Chuck Berry. C'est jouissif, entrainant, un brin simpliste (faussement simpliste chez Rodriguez) mais aussi profondément mélancolique; le sentiment d'écouter et de pouvoir presque sentir une autre époque, une autre manière de faire de la musique, une autre atmosphère.
On sent bien cette recherche d'un retour au source dans ce dernier film de Rodriguez.
D'où l'hommage au film d'action des années 80, au western (on rejoue Alamo du coté mexicain), et aux films politiques des 70s (la théorie du complot) d'où aussi la présence de Steven Seagal en affreux méchant ou de l'increvable Robert De Niro en Texan extrémiste hilarant.

Bref du lourd, du très lourd que l'on ne peut que recommander avec empressement.

Pierre Andrieux