"Baby baby, our future won't shine, everything is fucked up, everything is fine", Broken, Frog's.
Publié par Thomas K.
Bob Walker mène la belle vie avec sa grande maison, sa petite famille modèle, ses moments détente au golf et sa porsche. Mais voilà, Bobby est viré de sa boîte, victime des réductions de personnel nécessaires à la satisfaction des actionnaires...
On peut féliciter John Wells de ne pas avoir fait un film trop manichéen. Le thème du licenciement oblige, on nous dépeint forcément un monde du travail divisé entre des bureaucrates sans scrupules et ceux qui payent les pots cassés. Mais The Company Men diffuse cette injustice d'une manière assez subtile, sans sortir la grande artillerie de la dénonciation facile. Les salops sont des salops parce que le monde est pourri, c'est tout. Le sang appelle le sang, la toute puissance de l'argent appelle sobrement le je-m'en-foutisme des grands patrons. C'est l'histoire éternelle.
Le héros lui-même, campé par Ben Affleck, est un salopard méprisant auquel on a bien du mal à s'identifier et à s'attacher. C'est seulement au moment où il perd véritablement son petit confort façonné par le superflu qu'on commence à apprécier le personnage. Le film est rempli de personnages aussi irrécupérables que banalement humains. Comme s'il n'y avait rien, ni personne, à sauver. Le monde du travail, donc le monde, comporte autant de lueurs d'espoir qu'un haussement d'épaule résigné, un "bof" un peu nihiliste. Pas de véritable instance de méchanceté, pas de vrais héros.
Le film se complaît dans une sorte de non-évènement presque anti-cinématographique. Le non-évènement au cinéma est d'habitude déjà un évènement en soi, il se place en contrepoint de l'évènement, vient lui faire opposition, existe dans sa non-existence. Mais dans le film de Wells, on ne prône pas le non-évènement. On constate passivement l'évènement. Cela donne formellement une oeuvre d'une facture très classique qui renvoie aux films de 1940 et à la filmographie de Frank Capra. De Capra à Wells, on a perdu l'enthousiasme, l'optimisme. Il y a bien la volonté de montrer qu'on peut compenser la merditude des choses (pour reprendre le titre d'un film sorti récemment) par la connexion humaine, l'amour, l'amitié, la solidarité, ce genre d'idées préconçues, mais même le réalisateur ne semble pas y croire, et cela n'est plus suffisant.
On a donc un film désabusé, presque insidieusement cynique à l'image des quelques répliques bien senties que peut balancer Bobby et qui nous font rire jaune dans le méandre du noir spleenéique. La solidarité dans l'adversité, symbolisée par le ballon de rugby, objet-relais porteur d'un esprit d'équipe, ne sauve pas grand-chose, voir rien. La relation que Bobby entretient avec sa femme n'est pas passionnelle. Celle avec ses enfants non plus. Tout est à plat, tout est trop la vie. La seule émotion que le film véhicule est un certain élan de tristesse au moment du suicide d'un des employés, jolie scène dans son garage qui prend son temps dans le silence de la nuit, à la faveur d'une lueur de cigarette. L'émotion, c'est la mort. La platitude, c'est la vie.
Mais le personnage de Kevin Costner, le beau-frère, est là pour effectuer un retour aux vraies valeurs : labeur, travail du corps, éprouver physiquement le monde, altruisme, sacrifices...ce retour à un certain fondamentalisme, cette valorisation de l'Américain moyen, aurait pu laisser croire que s'échapper du néant du monde est possible. Mais non. Jack, le personnage campé par Costner, le dit : "it's a fucked up world" avant d'ajouter "des fois j'y perd, des fois j'y gagne. La balance s'équilibre". The Company Men, c'est ça, un effet de balance qui ramène toujours tout à zéro, un film neutre comme la vie, qui ne glorifie rien, même pas le chagrin.
Le personnage de Gene (Tommy Lee Jones, impeccable comme toujours) laisse se pointer un espoir de rédemption, tronqué par un effet de "trop tard". La fin est un faux happy end, tout est fini depuis des années, "everything is gone" comme le dit Gene. Le dernier plan montre avant tout du vide, plus que de l'espoir. Et à travers des récits de personnages secondaires, on perçoit que cette impuissance de l'homme individuel face aux règles qui régissent la machine du Travail touche toutes les couches de la population. L'idéalisme tend à disparaître. La vie est indécente puisqu'elle se déroule sur un fil de rasoir, sur un siège éjectable. Le Système est inaffrontable, à l'image de cet employé saoul qui tente vainement d'atteindre la façade de son ancienne boîte avec des cailloux qui choient lamentablement quelques mètres devant lui. Le film narre la perte de la dignité, de l'identité.
The Company Men est un film déprimant. Pas ce genre de film où la tristesse et la mélancolie inhérentes à l'oeuvre permettent une identification à ses propres tourments, un mouvement catharsique qui fait que l'on sort de la salle de cinéma avec un sentiment apaisant de compréhension mutuelle avec l'artiste. Le film de John Wells nous place en spectateur d'un monde insupportable où le prosaïsme du réel annihile toute tentative de rendre la vie enthousiasmante. L'amour, la famille, la solidarité ne suffisent plus à sauver l'exaltation. Les lois modernes de l'entreprise ont tout détruit, et personne ne peut véritablement y échapper.
++
Thomas K.
Publié par Thomas K.
Bob Walker mène la belle vie avec sa grande maison, sa petite famille modèle, ses moments détente au golf et sa porsche. Mais voilà, Bobby est viré de sa boîte, victime des réductions de personnel nécessaires à la satisfaction des actionnaires...
On peut féliciter John Wells de ne pas avoir fait un film trop manichéen. Le thème du licenciement oblige, on nous dépeint forcément un monde du travail divisé entre des bureaucrates sans scrupules et ceux qui payent les pots cassés. Mais The Company Men diffuse cette injustice d'une manière assez subtile, sans sortir la grande artillerie de la dénonciation facile. Les salops sont des salops parce que le monde est pourri, c'est tout. Le sang appelle le sang, la toute puissance de l'argent appelle sobrement le je-m'en-foutisme des grands patrons. C'est l'histoire éternelle.
Le héros lui-même, campé par Ben Affleck, est un salopard méprisant auquel on a bien du mal à s'identifier et à s'attacher. C'est seulement au moment où il perd véritablement son petit confort façonné par le superflu qu'on commence à apprécier le personnage. Le film est rempli de personnages aussi irrécupérables que banalement humains. Comme s'il n'y avait rien, ni personne, à sauver. Le monde du travail, donc le monde, comporte autant de lueurs d'espoir qu'un haussement d'épaule résigné, un "bof" un peu nihiliste. Pas de véritable instance de méchanceté, pas de vrais héros.
Le film se complaît dans une sorte de non-évènement presque anti-cinématographique. Le non-évènement au cinéma est d'habitude déjà un évènement en soi, il se place en contrepoint de l'évènement, vient lui faire opposition, existe dans sa non-existence. Mais dans le film de Wells, on ne prône pas le non-évènement. On constate passivement l'évènement. Cela donne formellement une oeuvre d'une facture très classique qui renvoie aux films de 1940 et à la filmographie de Frank Capra. De Capra à Wells, on a perdu l'enthousiasme, l'optimisme. Il y a bien la volonté de montrer qu'on peut compenser la merditude des choses (pour reprendre le titre d'un film sorti récemment) par la connexion humaine, l'amour, l'amitié, la solidarité, ce genre d'idées préconçues, mais même le réalisateur ne semble pas y croire, et cela n'est plus suffisant.
On a donc un film désabusé, presque insidieusement cynique à l'image des quelques répliques bien senties que peut balancer Bobby et qui nous font rire jaune dans le méandre du noir spleenéique. La solidarité dans l'adversité, symbolisée par le ballon de rugby, objet-relais porteur d'un esprit d'équipe, ne sauve pas grand-chose, voir rien. La relation que Bobby entretient avec sa femme n'est pas passionnelle. Celle avec ses enfants non plus. Tout est à plat, tout est trop la vie. La seule émotion que le film véhicule est un certain élan de tristesse au moment du suicide d'un des employés, jolie scène dans son garage qui prend son temps dans le silence de la nuit, à la faveur d'une lueur de cigarette. L'émotion, c'est la mort. La platitude, c'est la vie.
Mais le personnage de Kevin Costner, le beau-frère, est là pour effectuer un retour aux vraies valeurs : labeur, travail du corps, éprouver physiquement le monde, altruisme, sacrifices...ce retour à un certain fondamentalisme, cette valorisation de l'Américain moyen, aurait pu laisser croire que s'échapper du néant du monde est possible. Mais non. Jack, le personnage campé par Costner, le dit : "it's a fucked up world" avant d'ajouter "des fois j'y perd, des fois j'y gagne. La balance s'équilibre". The Company Men, c'est ça, un effet de balance qui ramène toujours tout à zéro, un film neutre comme la vie, qui ne glorifie rien, même pas le chagrin.
Le personnage de Gene (Tommy Lee Jones, impeccable comme toujours) laisse se pointer un espoir de rédemption, tronqué par un effet de "trop tard". La fin est un faux happy end, tout est fini depuis des années, "everything is gone" comme le dit Gene. Le dernier plan montre avant tout du vide, plus que de l'espoir. Et à travers des récits de personnages secondaires, on perçoit que cette impuissance de l'homme individuel face aux règles qui régissent la machine du Travail touche toutes les couches de la population. L'idéalisme tend à disparaître. La vie est indécente puisqu'elle se déroule sur un fil de rasoir, sur un siège éjectable. Le Système est inaffrontable, à l'image de cet employé saoul qui tente vainement d'atteindre la façade de son ancienne boîte avec des cailloux qui choient lamentablement quelques mètres devant lui. Le film narre la perte de la dignité, de l'identité.
The Company Men est un film déprimant. Pas ce genre de film où la tristesse et la mélancolie inhérentes à l'oeuvre permettent une identification à ses propres tourments, un mouvement catharsique qui fait que l'on sort de la salle de cinéma avec un sentiment apaisant de compréhension mutuelle avec l'artiste. Le film de John Wells nous place en spectateur d'un monde insupportable où le prosaïsme du réel annihile toute tentative de rendre la vie enthousiasmante. L'amour, la famille, la solidarité ne suffisent plus à sauver l'exaltation. Les lois modernes de l'entreprise ont tout détruit, et personne ne peut véritablement y échapper.
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Thomas K.
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