Le cinéma de David Lynch livre une opacité stimulante là où le film de Hellman nous invite à un laisser-aller proche de la résignation. Chez Lynch, le spectateur est constamment motivé par des régimes d'images fascinantes empruntés à la syntaxe des films d'horreur, notamment. Le mystère lynchéen tend à être percé, même s'il est impossible à percer. Le style formel du cinéaste nous plonge (voir les plans d'engouffrement par zoom avant présents dans tous ses films) dans une "étrangeté inquiétante", des lieux étouffants, des bizarreries et excentricités liées à des présences de "l'entre-deux" et des névroses et tourments psychologiques projetées et qui prennent corps dans la réalité : des métapsychoses.
Le film de Monte Hellman, s'il emprunte comme Lynch avec Lost Highway la syntaxe du film noir (pour la détourner tout comme Lynch)et joue sur l'éternel confusion de l'être et de son double, le film donc ne cherche pas ce vrombissement intérieur du spectateur. Il invite à laisser couler les doutes comme une rivière calme en nos coeurs. L'explosion de la linéarité chez Lynch est due à tout un tas de surgissements et de glissements sensoriels. Chez Hellman, c'est une diffuse anormalité du récit, un labyrinthe sans entrée et sans sortie, un ruban de Moebius décollé. L'interrogation de la puissance de l'image se fait par la vulgarisation du sublime chez Lynch, et par la simple et sobre perdition du sujet chez Hellman. Nous ne sommes pas dans le même registre d'images. Si les deux cinéastes sont comparables dans leur goût pour la profondeur de l'image et de la pensée de l'image (le film de Hellman parle après tout d'un type qui réalise un film sur un type qui réalise un film sur un type qui réalise un film), il serait réducteur et pour l'un et pour l'autre d'associer Road To Nowhere à un pur produit dérivé lynchéen. Penser à Lynch en regardant Hellman, c'est comme penser à Godard en lisant Proust, c'est essayer de forcer la serrure du sens avec la clé de la culture personnelle.
Mais je crois que les critiques nous prouvent chaque mois que leur crédo est la subjectivité toute puissante ; et tant pis si on sait pas trop de quoi on parle. J'imagine facilement l'empressement du critique moyen qui après avoir vu Road To Nowhere a pensé à Inland Empire de Lynch, dont le thème est proche mais jamais le traitement, et s'est empressé d'associer les deux films sans véritable fil de réflexion (c'est pourtant son travail) en profitant de l'analogie forcée pour descendre le film de Hellman. Il est vrai que ce dernier est particulièrement difficile à voir. Insaisissable, obtus, borné comme son vieux cinéaste, il est peut-être plus un film du plaisir cérébral que viscéral, à part pour la scène du meurtre qui comme Mister Andrieux l'a indiqué est émotionnellement étourdissante, dans le genre ça me retourne les tripes ça marche plutôt pas mal. Mais on ne peut le réduire à l'analogie lynchéenne, car si les deux cinéastes aiment embrouiller le spectateur dans des histoires inassemblables, ils le font d'une manière si différente, dans une approche formelle tellement dissociable, que les comparer tient d'une vulgarisation facile du cinéma de Hellman, et de celui de Lynch.
Thomas K.
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Le film de Monte Hellman, s'il emprunte comme Lynch avec Lost Highway la syntaxe du film noir (pour la détourner tout comme Lynch)et joue sur l'éternel confusion de l'être et de son double, le film donc ne cherche pas ce vrombissement intérieur du spectateur. Il invite à laisser couler les doutes comme une rivière calme en nos coeurs. L'explosion de la linéarité chez Lynch est due à tout un tas de surgissements et de glissements sensoriels. Chez Hellman, c'est une diffuse anormalité du récit, un labyrinthe sans entrée et sans sortie, un ruban de Moebius décollé. L'interrogation de la puissance de l'image se fait par la vulgarisation du sublime chez Lynch, et par la simple et sobre perdition du sujet chez Hellman. Nous ne sommes pas dans le même registre d'images. Si les deux cinéastes sont comparables dans leur goût pour la profondeur de l'image et de la pensée de l'image (le film de Hellman parle après tout d'un type qui réalise un film sur un type qui réalise un film sur un type qui réalise un film), il serait réducteur et pour l'un et pour l'autre d'associer Road To Nowhere à un pur produit dérivé lynchéen. Penser à Lynch en regardant Hellman, c'est comme penser à Godard en lisant Proust, c'est essayer de forcer la serrure du sens avec la clé de la culture personnelle.
Mais je crois que les critiques nous prouvent chaque mois que leur crédo est la subjectivité toute puissante ; et tant pis si on sait pas trop de quoi on parle. J'imagine facilement l'empressement du critique moyen qui après avoir vu Road To Nowhere a pensé à Inland Empire de Lynch, dont le thème est proche mais jamais le traitement, et s'est empressé d'associer les deux films sans véritable fil de réflexion (c'est pourtant son travail) en profitant de l'analogie forcée pour descendre le film de Hellman. Il est vrai que ce dernier est particulièrement difficile à voir. Insaisissable, obtus, borné comme son vieux cinéaste, il est peut-être plus un film du plaisir cérébral que viscéral, à part pour la scène du meurtre qui comme Mister Andrieux l'a indiqué est émotionnellement étourdissante, dans le genre ça me retourne les tripes ça marche plutôt pas mal. Mais on ne peut le réduire à l'analogie lynchéenne, car si les deux cinéastes aiment embrouiller le spectateur dans des histoires inassemblables, ils le font d'une manière si différente, dans une approche formelle tellement dissociable, que les comparer tient d'une vulgarisation facile du cinéma de Hellman, et de celui de Lynch.
Thomas K.
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Je découvre ce blog grâce à Road To Nowhere qui me fascine de plus en plus depuis sa vision, ce week-end. Je tiens à dire que si je vous rejoins totalement pour ce qui est de dire qu'Hellman et Lynch proposent des œuvres absolument distinctes, je ressens une impression diamétralement opposée à celle exprimée au début du post. A mes yeux, c'est plutôt Hellman qui enthousiasme, qui agite les cellules grises de ses spectateurs, qui les pousse à construire quelque chose mentalement et Lynch qui nous plonge dans la circonspection et la résignation face à un délire somme toute bien égocentrique. Jamais personne d'autre que Lynch ne sera maître d'un film de Lynch. Je dois bien reconnaître avoir un plaisir coupable à ne pas aimer Lynch, à voir dans chaque nouvelle œuvre une escroquerie de plus (mais je suis humble, et peut-être pas beaucoup plus sensible que le profane dans une musée d'art contemporain) ... en tout cas je crois que mon rejet tient justement dans ce postulat selon lequel il y a une énigme à résoudre chez Lynch. Jamais en voyant un film (ni même en lisant un livre, d'ailleurs) je ne ressens le besoin ou même seulement l'envie de résoudre un problème dont la solution serait à la page 56 du magazine. Et d'autant moins chez Lynch dont on sait pertinemment que le jeu préféré consiste à arracher la page 56.
RépondreSupprimerJ'aime les errements, les erreurs et finalement, une certaine philosophie de la lose (comme la connaisse finalement les héros de Two-Lane Blacktop) plus que la promesse -tenue ou non- d'un objectif à accomplir, d'une fin.
Un des aspects les plus fascinants de Road To Nowhere est cette sorte de mépris pour l'énigme au sens où on l'entend habituellement d'ailleurs ... on nous raconte TOUT. tout ce qui ferait n'importe quel polar. Et ceci très très rapidement (c'en est même fou quand on pense à la signature d'Hellman, tout en prolongation) on sait tout ce qu'il y a savoir et pourtant, à la fin il reste encore quelque chose en suspens. Quelque chose qui finalement n'est pas dans ce film-là, qui paraît déjà plein comme un œuf ... donc dehors ? (dans les masterpieces citées ? ici ? chez la femme qu'on aime ?)
Chez Lynch, au contraire, j'ai l'impression qu'il manque quelque chose ... une absence qui est pratiquement présentée comme une récompense apportant le confort d'une cohérence à tout le reste (ce qui, si cela devait arriver un jour, est d'ailleurs hautement improbable). Sauf qu'une récompense qu'on obtient jamais ne fait que renforcer le sacrifice : accepter l'esthétique Lynchienne, ici. (oui, bon, y a plus douloureux.)
On pourrait d'ailleurs aussi opposé Lynch le spectaculaire, amoureux du music-hall et du freakshow, poussant ses actrices dans des lubies sexuelles ... à Hellman, fragilisant ses personnages devant l'Esprit de la Ruche par exemple, ne dénudant pas son actrice (il en emploie d'ailleurs fort peu !), et au style absolument anti-spectaculaire par nature.
SPOILER !!!
à vrai dire, j'ai eu cette idée en faisant bel et bien un rapprochement avec Mulholland Drive, peu après avoir vu Road To Nowhere. Les deux films s'achèvent sur l'image du cadavre de l'héroïne ... Recroquevillée et suicidée chez Lynch et trop grande pour l'écran et assassinée subitement chez Hellman, l'égoïsme de l'un et la générosité du second.
Enfin, ce ne sont que des symboles et chacun de nous en font ce qu'il veut bien, au nez et à la barbe des cinéastes.
SPOILER !!!
bref tout oppose Lynch et Hellman, en fait. On reste d'accord.
J'apporte encore une interview que je trouve intéressante vis à vis de tout ça (Le secret pour apprécier un film est de ne pas chercher à le comprendre ... et l'idée selon laquelle un film n'appartient véritablement à personne)
http://vimeo.com/22257701
Cher Anonyme,
RépondreSupprimerJe vous réponds alors qu'il est 1H15 du matin, et je suis sur le point d'aller me coucher. Vous comprendrez donc pourquoi je ne lancerai pas un débat passionné sur le cinéma de David Lynch, même si mon point de vue ne rejoint pas le vôtre. Mais en vérité, je comprends et respecte votre sensibilité face à la cinématographie opaque et relativement insaisissable du cinéaste. Et je vous remercie d'avoir pris le temps et la peine de poster ce commentaire pertinent en de nombreux points. Je suis heureux de constater que Road to Nowhere provoque votre enthousiasme, et j'espère que notre petit blog vous apporte satisfaction dans nos publications. Pour ce qui est du cinéma de Lynch, il y a de toutes manières en général deux écoles, pour faire simple : ceux qui adorent et ceux qui n'accrochent tout simplement pas ou peu. Je laisserai les lecteurs éventuels choisir leur camp, et si jamais certains désireraient un article sur ma vision du cinéma de Lynch, qu'ils n'hésitent pas à poster leur demande en commentaire. En attendant, merci à vous de nous lire, et merci pour votre intervention.
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Le devoir de se coucher m'est familier ... il n'y a aucun problème. Et à vrai dire, je ne cherchais pas forcément à lancer le débat, mais finalement surtout à abonder dans l'esprit général de votre post signalant que la critique en général (se contentant souvent de paraphraser le dossier de presse et d'agrémenter de quelques références qui-parlent-à-tout-le-monde : Lynch en l'occurence)
RépondreSupprimerprobablement si je n'avais pas lu la meilleure critique de Road To Nowhere, la plus instruite, n'aurais-je jamais posté mes commentaires ... si cela peut vous rassurer sur la qualité de ce que vous et vos camarades écrivez.
le même anonyme qu'hier.
Et bien merci à vous, continuez de nous lire !
RépondreSupprimer++
Cher monsieur thomas K
RépondreSupprimerc'est toujours avec plaisir que je lis vos commentaires
décidemment , je suis en train de devenir une fan !
votre lyrisme enthousiaste et percutant n'arrive toutefois pas à cacher une certaine sensibilité , qui , rend l'écriture très attachante !
ARMOR DE BRIOCHINE