lundi 30 août 2010

Jaws



"We gonna need a bigger boat"


Jaws! Voila un film qui a traumatisé des générations de spectateurs, moi le premier!
Sortie en Juin 1975 sur les écrans américains, il est considéré comme le premier Blockbuster de l'histoire du cinéma. Les blokbusters sont ces films qui sortent pendant les périodes estivales et qui sont généralement d'imposante productions sensées faire exploser le Box Office.
Plus précisément, ce qui à permis à Jaws de battre tout les records de bénéfices, c'est son mode de distribution. C'est en effet le premier film distribué de manière intensive, c'est à dire dans un très grande nombre de salles sur le territoire américain en un laps de temps très court. Avant cela, un film pouvait rester un an à l'affiche. Il était diffusé dans un nombre de salles défini, puis selon son succès, on augmentait les copies. Pour le meilleur et pour le pire, le succès du film a conduit Hollywood à modifier radicalement la promotion et la distribution des ses films, si bien que aujourd'hui, la recette marche parfaitement : Promotion infernale avec affiches et trailers dans les rues, à la télévision et sur internet; sortie évènementielle à l'internationale et le film rentre dans ses frais dès les deux premières semaines avant de dégringoler à cause d'un bouche à oreille négatif. C'est ce qui arrive fréquemment aujourd'hui car tout les films ne sont pas "Jaws".

Le film de Spielberg, en plus d'avoir donner le sourire aux banquiers, à fait vibrer les amateurs de cinéma. Jaws est un mythe: 5 mois de tournage, des conditions en mer catastrophiques, un réalisateur jeune et inexpérimenté (Spielberg n'a que 28 ans), des acteurs poussés à bout et des producteurs appeurés. tout était réuni pour que le film soit un échec, ce fut un miracle.

Dans cet article nous analyserons en détail un extrait du film à défaut d'en faire une critique générale mais d'abord, laissez moi vous résumer brièvement l'histoire :
Le chef policier Brody à quitté New York avec sa famille pour une bourgade plus tranquille, l'île D'Amity. Chaque été, l'enjeu est de taille car la ville doit se parer de ses plus beaux atouts pour accueillir les vacanciers, et engranger des bénéfices satisfaisants. Seulement voila, un matin, sur la plage d'Amity, les restes d'un cadavre jonchent le sable fin. Sur le rapport de police Brody inscrit dans la case "cause du décès" : Attaquée par un requin.

L'extrait que je souhaite analyser est la deuxième attaque du requin, celle que j'appellerai ici : Alex et le matelas jaune.
C'est scène est une pure démonstration du cinéma de Spielberg qui s'inspire ici du "Master" Hitchcock, vous allez comprendre.
Résumons et spatialisons la scène : Nous sommes sur la plage principale D'Amity en début d'après midi. La mer s'étend d'un côté, la plage de l'autre avec les premiers vacanciers de la saison. Alex insiste auprès de sa mère pour prendre un radeau gonflable et aller jouer dans l'eau. Plus loin, Brody, tendu, scrute la plage. Il sait que le requin à déjà attaqué. A côté de lui sa femme et quelques amis discutent dans l'arrière plan. Évidement, l'accident survient, le petit Alex se fait attaquer et Brody ne peut que contempler le désastre.

Cette scène est intelligemment construite dans sa spatialité : D'un côté la terre, de l'autre la mer. D'un côté la sécurité, de l'autre, la perte de contrôle, l'inconnu donc le danger. C'est en quelque sorte la thématique du film: La bataille entre l'Homme et la Nature. Spielberg met en évidence cette idée par cette alternance de champs contre champs à 180 degrés : La Mer; Cut: Brody; Cut: La mer etc.

Là où la séquence se rapproche du style hitchcockien, c'est dans le choix du jeu de point de vue. L'essence même de cette scène c'est l'impuissance de Brody. Il sait qu'il y a déjà eu une attaque et que si cela se reproduit, il ne pourra rien faire, il sera impuissant. d'un autre côté il désire presque cette attaque pour pouvoir dire au maire de la ville qu'il avait raison et qu'il faut fermer la plage. Autre facteur, on apprend que Brody à peur de l'eau. Il est donc prisonnier de la plage et simple spectateur de l'action. Spielberg construit alors sa séquence en utilisant divers aléas qui vont empêcher Brody de se concentrer sur ce qui se passe dans l'eau: Vous remarquerez en regardant la séquence que les alternances de champs sont motivés à chaque fois par le passage de vacanciers qui viennent obstruer la vue de Brody, et la notre par la même occasion. Spielberg ne les filment pas comme des vacanciers mais juste comme des formes floues, au premier plan, qui viennent véritablement nous cacher la vue.

La deuxième gène, c'est cet homme aux larges épaules qui vient parler à Brody d'un problème futile. La carrure de l'homme cache la vue de Brody qui tente de regarder par dessus son épaule pour ne pas perdre la mer de vue. Spielberg nous place encore une fois dans le point de vue du héros. L'homme au premier plan est net, ainsi que la mer derrière lui ou un jeune couple chahute. Normalement, la mise au point doit se faire sur le premier ou le second plan pour montrer aux spectateurs ce qu'il faut regarder. Mais Spielberg utilise ici une double lentille pour faire le point partout. On comprend alors Brody essaye de diriger son attention sur ce qui se passe dans l'eau mais doit également feindre de s'intéresser aux problèmes du personnage au premier plan.
De la même manière que Hitchcock, Spielberg utilise des procédés techniques pour que le spectateur, en plus d'épouser le point de vue du héros, ressente les mêmes sensations que lui.

Le petit vieux avec son bonnet noir et le jeune couple qui chahute étaient bien évidement de fausses alertes pour faire monter un peu plus la tension. Mais il ne peut pas y avoir d'attaque du requin sans la musique de John Williams! Le thème du requin associé au plan subjectif sous l'eau est le véritable signal d'une attaque imminente.
On remarque également que dans cette séquence, les sons de bruits d'eaux sont mixés très fort de manière à couvrir toute l'ambiance sonore de la séquence. La tension monte d'un cran quand Spielberg allie à ces sons un montage très saccadé montrant les enfants jouer dans l'eau. Le requin se rapproche dangereusement de sa proie à mesure que la musique s'emporte, et c'est l'attaque...
Spielberg la film en Cinq plans courts mais redoutablement efficace :

Plan 1 : la mer, une forme emporte le gamin sous l'eau; Cut: did you see that?; Cut: Une fontaine de sang; Cut: le gamin hurle sous l'eau; Cut: Réaction de Brody.

Après avoir atteint un pic sonore puissant, la musique de Williams s'efface quelques secondes, créant un malaise total, avant de reprendre par un son de violon étourdissant alors que Brody est plaqué contre sa chaise. Ultime référence à Hitchcock. Pour le plan de réaction sur Brody, Spielberg opère d'un travelling compensé (un zoom arrière avec un travelling avant ou un zoom avant avec un travelling arrière). Cette technique a pour effet de créer visuellement une sensation de vertige, c'est pourquoi Hitchcock l'avait expérimenté pour Vertigo. Hommage évident donc, mais l'effet est ici tout aussi efficace. En un seul plan, Spielberg fait passer toute l'impuissance de Brody face au spectacle abominable qui s'est déroulé devant ses yeux. Comme James Stewart dans Vertigo, Brody est un héros traumatisé, si bien que, quand la foule se précipite dans l'eau pleine de sang pour aller chercher les enfants apeurés, Brody s'arrête juste au bord de l'eau et se garde bien de mouiller ses pieds. Il est véritablement bloqué sur la plage.

Tout les enfants sont saufs, à l'exception du petit Alex. Mais ici pas de cadavre déchiqueté, juste un petit matelas jaune dégonflé et violemment dévoré qui danse dans le remous des vagues rouges.

Spielberg signait ici un acte osé, faire mourir un enfant de manière aussi cruelle dans un film hollywoodien a été très mal vu à l'époque. Il ne recommencera plus jamais. 35 ans après, Jaws est toujours là quand vous allez vous baigner. N'est ce pas la marque des grand films?