mardi 24 mai 2011

Pirates des Caraïbes : On stranger tides


"Jack Sparrow: Did everyone see that? Because I will not be doing it again."

Il faut être franc, tous les amateurs de grands divertissements hollywoodiens se sont régalés avec la trilogie Pirates des Caraïbes. Si une certaine clarté narrative à fait défaut aux deux dernier opus de la saga, le rythme enlevé de la mise en scène de Verbinsky, l'univers fantasmé de la piraterie et ses personnages attachants finissaient toujours par l'emporter. On se retrouvait alors les yeux grands ouverts, dévorant ces aventures épiques comme un gamin de 10 ans.

Si c'est toujours un plaisir de retrouver Jack Sparrow, Barbosa et Gibbs, la saga vient d'engendrer l'épisode de trop, un film sans saveur et sans élan, réalisé par le non cinéaste : Rob Marshall.

On en veut à l'avide Jerry Bruckheimer, sûr d'empocher de l'argent facile avec une franchise devenu culte, et surtout, d'oser le faire alors que Gore Verbinsky, le vrai magicien de Pirates des Caraibes, a quitté consciencieusement le navire, persuadé du naufrage artistique. Alors vous me direz, fallait – il attendre autre chose de la part du producteur de Pearl Harbor et Armageddon ? Si Verbinsky n'est pas non plus un grand génie, quoique le succès artistique de Rango nous permet d'affirmer sans crainte que l'homme à du talent, il n'y a qu'a comparer le dernier opus avec les trois autres pour se rendre compte que l'homme maîtrisait et estimait son sujet. Rob Marshall, lui, en a fait un vulgaire produit sans âme.

Car la grande perdante de ce Pirates des Caraïbes « On stranger tides », c'est l'action, et le souffle épique. On retient de la franchise un sens du mouvement, un plaisir enfantin du combat de sabre, précis et fluide, et des jeux d'équilibre qui nous donnait le tournis.

Souvenez vous, L'abordage à coup de vaisselle en guise de mitraille, le duel au sabre sur la roue du moulin dégringolant la colline ou même le navire de Jack de renversant alors que l'eau et l'air s'inverse avec fureur, le tout porté par le virevolant « Up is down » de Zimmer. C'était l'aventure, la vraie !

Hélas on ne retiendra rien de tout cela dans le film de Marshall qui dénigre l'action comme seulement Mike Newell (Prince of Persia en 2009 également produit par Brukheimmer tiens tiens !) l'a fait avant lui. L'action se résume à de vagues coups d'épées indistincts, un plan d'ensemble furtif, deux trois raccords sur un coup de poing et une plongée verticale histoire de rentabiliser la grue.

Le tout, bien sûr, est monté dans un non-style qui fait office de rustine et qui masque le total manque de vision du cinéaste. En ressort un spectacle statique, vide, à l'exception peut être de la fuite de Jack à Londres dans laquelle Marshall épuise toutes ses bonnes idées. La séquence de fin est une déception totale, un summum de non-action. Pas un seul abordage, pas de Pearl, la vie de pirates est devenu bien morose.

En revoyant le soir même le premier film, on se rassure en se disant que cela n'a pas toujours été comme çà. Le plaisir est toujours là, intact, le film danse avec légèreté et fougue jusqu'à son dénouement, Pirates des Caraibes, la malédiction du Black Pearl était un spectacle grandiose, que l'on ai 7 ou 77 ans.

Alors bien sûr il reste les personnages, et encore, beaucoup ne sont pas là. Les scénaristes persistent depuis l'épisode 3 à vouloir multiplier les personnages de premier plan. On se retrouve alors avec une multitude de méchants dont la figure de proue, Barbe Noire est inintéressante. Depp se retrouve tout seul à cabotiner, heureusement il le fait bien et est parfaitement épaulé par le génialissime Geoffrey Rush, Barbosa est définitivement le meilleur personnage inventé par la franchise avec Sparrow. En se privant du triangle amoureux pervers qui aboutissait à la fin tragique du couple Will/Elizabeth, la fontaine de jouvence se résume à un jeu de parcours auxquels seuls quelques notes d'humour donne du piment. La musique, si essentielle dans la trilogie en cela qu'elle démultipliait la force épique des scènes d'action, est ici utilisée comme un simple gimmick. Aucune composition originale pour Zimmer qui nous propose ici ni plus ni moins qu'un best-of.

Pirates des Caraïbes, en plus de n'être rien d'autre qu'un pur produit sans âme, est un véritable gachit d'argent. 250 millions de dollars ne font pas de Rob Marshall un bon réalisateur. N'osez même pas la 3D qui était, à coup sûr, l'unique prétexte lancé par Brukheimmer à ses financiers pour relancer la machine. On comprend pourquoi Verbinsky a préféré mettre les voiles.



The tree of life


"Jack: Guide us, to the end of time."

J'ai souvent l'intime conviction qu'une critique de cinéma doit ressembler au film qu'elle commente, je veux dire formellement. The tree of life me déboussole en tant que critique de part sa faible teneur narrative, ses variations de rythme et son ambition démesurément métaphysique. Le film de Malick a la forme abstraite et éclatée d'un poème. Évitons donc de rationaliser et lançons nous sans réfléchir dans un commentaire subjectif et instinctif.

J'ai d'abord été surpris par la réaction du public, que ce soit à Cannes ou dans la salle de cinéma, le film sépare d'abord les spectateurs en deux catégories. Je veux dire par là que l'on repère tout de suite les spectateurs qui vont au cinéma de manière arbitraire, presque comme on sélectionne un produit dans un rayon parce que l'emballage nous plait. Les noms de Brad Pitt et Sean Penn ont attirés les foules comme la lumière vive attire les insectes. Ils rassurent et conforte le spectateur dans ce qu'il pense voir. On réalise alors à quel point le cinéma, aux yeux de beaucoup, se consomme comme un fast-food. A deux sièges de moi, un jeune homme dévore son menu Big Mac et répand une lourde odeur de potatoes en s'esclaffant haut et fort « Mais c'est quoi ce film ?! ».

Face à la vision grandiloquente mais généreuse et extrêmement maîtrisée de Malick, beaucoup rient. Une manière de se protéger, de répondre par la distanciation à des images trop puissante, trop gênante peut être. Les autres ont les yeux grands ouverts, acceptent la sidération même si tous ne ressortiront pas conquis. On en vient même aux mains quand certain finissent par scander haut et fort leurs piètre avis, debout devant l'écran, alors que des dizaines de personnes quittent la salle.

Ce genre de réaction, on en voit peu aujourd'hui au cinéma. Des films comme The Tree of life aussi. Il faut s'accrocher, accepter le rythme du film et se l'approprier. Il faut aussi se résoudre à l'idée que la force du film est dans l'image, dans sa beauté plastique et cette proximité avec la matière qui nous entoure. Un simple plan montrant de l'eau couler sur une jambe devient une expérience du sensible qu'il ne faut pas essayer d'intellectualiser mais plutôt d'utiliser comme un activateur de notre mémoire sensorielle. Avatar était déjà l'apologie d'un cinéma dont la beauté sublime résidait dans la puissance du regard. Ceux qui se contentait de critiquer le scénario étaient en faite passer à côté du film. La réponse était pourtant dans le film. Il fallait « voir à nouveau », avec d'autre yeux, ceux de la nature, de Dieu, comme vous voulez. « I see you » ni plus ni moins. La 3D nous offrait alors cette nouvelle vision magique de la fiction.

Malick ne prône pas autre chose. Contemplez, apprenez à nouveau à vous servir de vos sens. Quand on y parvient, le film prend alors toute son ampleur. Le montage sonore, les angles de camera, l'enchainement des plans, tout est pensé comme un poème cosmique, fluide et abstrait qui se résume à interroger l'homme sur sa capacité à croire, à dépasser sa condition naturelle pour atteindre ce qui fait sa singularité : La grâce.

Tout parvient alors à nous émouvoir, un regard d'enfant, une ombre, une lumière descendante. Malick parvient à tirer du numérique toute sa beauté à la fois sèche et précise dans la retranscription des couleurs naturelles. C'est cette photographie haute définition qui nous donne envie de toucher l'image. The tree of life est donc une expérience intérieur intense, au cour de laquelle notre cerveau lutte malgré tout pour donner un sens aux images qui défilent. Mais le film ne lui laisse pas le temps, il cherche à lui échapper et lui fait alors lâcher prise. Le combat est inutile.

Jusque là, Malick s'était toujours ralié à un genre cinématographique précis qu'il transcendait de sa vision panthéiste et cosmique du monde. The tree of life n'est ni un film de guerre, si une pastorale, encore moins une fresque historique. C'est une toute petite histoire, le plus souvent la notre et c'est pour cela qu'elle nous touche. C'est en même temps un très grande histoire, celle de l'univers et de notre obligation pour nous de lui donner un sens. Malick nous rappelle alors que, avec ou sans religion, pour survivre à la conscience d'être, il faut croire ou mourir.

Fin. Générique. Les lumières ne sont pas rallumer que l'individu perturbateur du début de film surgit subitement du néant et me décroche son point dans le visage. Le combat entre grâce et nature est décidément éternel.



vendredi 20 mai 2011

La conquête


Dominique de Villepin : "Maintenant qu'il est élu, il va nous faire une France à sa taille."

Attendu par la droite comme un brûlot anti-Sarkozy et par la gauche comme un traquenard risquant de renforcer le capital sympathie de notre mal aimé président, La conquête est d'abord un film, et un film délicieux. Sous la houlette de Xavier Durringer et Patrick Rotman, notre monde politique devient une tragi-comédie à la narration fluide et efficace, porté par des acteurs d'une précision mimétique frôlant parfois l'hallucination visuelle.

En cela il est donc le film que l'on pouvait espérer en ce sens qu'il tire tout les avantages de cette étrange proximité des évènements sans pour autant se reposer uniquement dessus. Le parcours héroïque de notre du chef d'État se regarde à tout les niveaux : médiatique, politique, mais par dessus tout intime, offrant ainsi aux spectateurs la chance de regarder enfin par le trou de la serrure.

C'est alors, comme souvent au cinéma, l'humain qui jaillit à notre figure. L'humain transcende l'image, l'image lissée du Sarko-média, et nous laisse alors avec un personnage à notre hauteur bien sûr, mais surtout sans idées, sans convictions autres que le désir de graver son nom dans les manuels d'histoire par tout les moyens.

Sarkozy, littéralement habité par Podalydès dont la rondeur des traits atténue fortement l'attitude fourbe et arrogante de ce dernier, nous rappelle alors le George Bush du W. d'Oliver Stone. Car nous sommes ici en présence d'un personnage qui n'a pas sa place dans ce milieu qu'il croit être le sien. Ou plutôt devrait on dire, Sarkozy aurait pu être n'importe qui, n'importe ou ailleurs : Chef d'entreprise, Footballeur ou même Rock-star, peut importe tant que l'on peut mettre des coups, rêver de manipulation, d'élimination et surtout d'ascension, comme le montre le superbe plan de fin du film, plus pertinent et sombre que l'affiche officielle.

Le plaisir jouissif que l'on éprouve alors à la vue du film est inquiétante car il semble dire que l'homme politique en général, si il est incapable de s'effacer derrière les idées pour mieux les porter, est avant tout un incroyable personnage de fiction, un superbe acteur. Bien sûr le film se réclame de la fiction, mais la précision de Rotman dans les retranscription des dires de nos représentants ne laisse que peu de place à l'imagination. Si au fond, les politiciens sont comme nous, alors La conquête ne triche pas tellement.

Dans tout les cas, fort est de constater que l'on s'amuse dans les hautes sphères de l'État, on joue ni plus ni moins. On parle en Punch-line, on se ment dans les yeux tout en se vouvoyant et ce, pour notre plus grand plaisir. Mention spéciale à Bernard Le coq qui est tout simplement Chirac. L'ancien président de la république risque d'avoir froid dans le dos. C'est en partie pour cela que le film s'éloigne à chaque seconde de la caricature. La reconstitution des lieux et des scènes que l'on a pu voir à la télévision est telle qu'on ne peut pas parler de pastiche. Le tour de force du film repose sûrement sur cette exigence de la ressemblance.

La conquête apporte donc une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c'est que la France vient enfin de produire une vrai comédie, rythmée et aiguisée, tout ce que Bienvenue chez le Chtis n'étaient pas en somme ! La mauvaise c'est le constat net et sans bavure que la politique n'a pu d'autre idées que celle de vouloir devenir fiction, et Sarkozy, plus que n'importe quel autre homme politique aujourd'hui, en est l'incarnation.

vendredi 13 mai 2011

Fast Five


Ça y est ! Après deux navets bien sentis qui venaient s'additionner à deux autres opus inintéressants dont on a volontairement oublié les auteurs, Justin Lin s'est trouvé avec Fast Five et c'est temps mieux pour nous ! Enfin la franchise Fast and Furious s'assume et prend conscience de sa dimension grotesque et souvent vulgaire pour nous offrir un film bien plus décomplexé et paradoxalement plus sobre, à l'image de l'affiche du film ci-contre.

Sur le mode du second degré et de la dépense généreuse, Fast Five revêt des allures festives tout en laissant de côté les néons « flashy » et les carrosseries « fluos » qui ont pourtant fait sa réputation. La preuve : Cette séquence au milieu du film où nos deux héros se rendent à un meeting de tuning dans la plus pure tradition bauf, c'est à dire avec son lot de gros cylindres en tout genres (you know what i mean). Sauf que la course de kéké ne viendra jamais, mieux, elle sera purement et simplement évincée d'une simple ellipse temporelle. Lin commence à retenir la leçon !

Le changement de décors, méthode classique de tout franchise qui se respecte, est tout au bénéfice du film. Les couleurs de Rio, sa force picturale, mais aussi sa chaleur moite, palpable jusque sur les bras saillants de Dwayne Johnson, donne à ce nouvel opus un charme certain qui le démarque de ses prédécesseurs.

Mais on aime surtout Rio pour les nouvelles possibilités formelles qu'elle offre en matière de séquences d'actions. Course-poursuite percutante à pied sur les toits des favelas, ou en voiture sur les routes larges et sinueuses du centre ville, Fast Five est un pur film de casse, généreux mais surtout malin et nerveux.

Si le style de Lin pâtit encore hélas d'un sur-découpage frénétique dans les séquences spectaculaires, on note tout de même une légère amélioration dans sa volonté d'embrasser l'action dans sa totalité et dans toute sa fluidité rythmique. Mais la ou le réalisateur est fort, c'est dans le choc de la matière, le carambolage de tôle et de chairs, le tout dans un fracas de bruit et de fureurs. Fast five vous défonce la rétine, mais surtout, il vous dégomme les tympans avec amour ! On avait pas entendu ça depuis John Rambo en 2008.

Dans cette tentative d'assumer la surenchère spectaculaire induite par le postulat de la franchise, Lin nous offre alors deux belles séquences : Un choc des titans surpuissant (Leterrier peut aller se rhabiller !) et destructeur entre Vin Diesel et Dwayne Johnson filmé « à la nerveuse », et une scène d'action finale dantesque et jouissive qui tient dans une idée de cinéma astucieuse, raison pour laquelle Michael Bay n'aurait même pas pu y songé. Si on est pas non plus totalement fan du montage hystérique de Lin et si Cameron ou Mann aurait sûrement fait de cette scène un chef d'œuvre en jouant bien plus habilement sur la profondeur de champ, on avoue tout de même que le réalisateur s'en sort avec les honneurs et délivre un style viscéral intéressant, mais qui gagne encore à s'affiner.

Le pire dans tout ça, et là vous n'allez sûrement pas me croire, c'est que le scénario tient la route ! Toutes les idées de braquages sont originales, spectaculaires et souvent drôles. On prend le temps de s'attarder sur les personnages, de peaufiner leurs relations afin de rendre cette bande de clowns sympathique. On évite soigneusement la dialectique policiers/voleurs pour une configuration à trois niveaux plus surprenante : policiers/voleurs/caïds. Nos héros ne sont alors ni bons ni mauvais mais bien entre les deux, ce qui est plutôt cocasse. Fast Five se permet même des digressions, c'est pour vous dire ! Certaines scènes n'ont aucunes finalités et c'est temps mieux !

La refonte de la franchise Fast and furious est donc en marche. Si Lin à bien retenu ses leçons, on exige alors que Fast Six soit au film d'action ce que Piranha 3D est au film d'horreur : un joyeux bordel !

jeudi 5 mai 2011

The Eagle de Kevin MacDonald, La dernière grande quête du héros mythique


"Our world is gone now..." Ptolémée, Alexandre (Oliver Stone)


Pour son quatrième film l'écossais Kevin MacDonald décide de s'attaquer au genre du film antique qui avait connu un regain de popularité avec la sortie en 2000 de Gladiator de Ridley Scott film qui avait ensuite entrainé la sortie d'oeuvres comme Le Roi Arthur (2003) d'Antoine Fuqua, de Troie (2004) de Wolfgang Petersen, d'Alexandre (2005) d'Oliver Stone ou encore de 300 (2006) de Zack Snyder. The Eagle, se déroulant au temps de la Rome Antique (aux deuxième siècle après JC), emprunte visuellement beaucoup plus à Gladiator ou au Roi Arthur, films se déroulant au sein de la même période, qu'aux autres films cités (même si le cas d'Alexandre est complexe).

A un premier niveau le choix de l'empire romain comme arrière fond historique du récit mérite déjà que l'on s'attarde dessus. Il existe en effet une différence majeure entre le traitement cinématographique de la Grèce antique et de Rome dans les films antiques contemporains. La Grèce antique symbolise en effet une plénitude: c'est le temps des grands Héros mythiques, le temps où les valeurs indiscutables étaient l'honneur, la gloire et le courage. Nous nous situons avec Troie ou Alexandre (même si Alexandre est beaucoup plus complexe que Troie à ce niveau) en plein dans des âges d'or. Cela implique forcément des conséquences dans les choix esthétiques et la mise en scène des cinéastes: l'image se veut lumineuse, chatoyante, la beauté plastique est soulignée et mise en avant: beauté des corps magnifiquement sculptés comme ceux d'Achille, de Patrocle, ou d'Hector dans Troie, beauté de paysages majesteux ( Petersen avec Troie comme Stone dans la première partie d'Alexandre situent l'action dans de vaste étendues désertiques où ont lieu de gigantesques batailles) qu'embrasse la caméra par de nombreux plans généraux spectaculaires. Bref le temps est à la sidération devant la force visuelle et la beauté de l'image, Le souffle se veut clairement épique à l'image des combats, qui voient s'affronter des milliers d'individus, se voulant toujours plus dantesques et démesurés.

Avec Gladiator, Le Roi Arthur ou The Eagle nous ne sommes plus du tout dans le même régime d'image. La différence est énorme: les ciels d'un bleu éclatant, où brille un soleil régénérateur et sacré ainsi que les couleurs chaudes et brillante ont laissé place à la morosité d'un ciel où le soleil s'est vu recouvert par de sombres nuages, mélancolie quand tu nous tiens... Le brillant, l'éclat, le chatoiement ont disparu du monde car ce monde n'est plus celui des grecs mais bien celui des romains. Si la Grèce antique incarne la plénitude, l'empire romain dans tous les films cités est à relier aux thématiques de la chute et du déclin. La période doit alors être perçue comme incarnant un point de bascule. Soit en l'occurrence le passage du monde mythique et sacré, temps béni des grands Héros/guerriers sans peur (la Grèce), au monde moderne et profane de la politique, temps béni des comploteurs, des rhétoriciens et des lâches, temps des intrigues de cour et des assassinats dans l'obscurité (Commode tuant son père dans Gladiator) plutôt que des champs de bataille lumineux et des faces à faces glorieux (Hector vs Achille dans Troie). Comme quoi le film antique aussi peut être crépusculaire (et d'ailleurs en parlant de çà le film de MacDonald emprunte aussi énormément au western, l'arrivée dans un fort perdu aux confins du monde connu évoque Danse avec les loups et le fort en lui même rappelle Le Dernier des Mohicans, tandis que les sauvages sont peints comme des indiens du nouveau monde). Bref, il plane une atmosphère visuelle de fin de monde sur des films comme The Eagle, Gladiator ou Le Roi Arthur.

Tout ce que nous venons de dire a évidemment d'énormes conséquences et ce à tous les niveaux. Tout d'abord au niveau de la forme et de l'esthétique visuelle. L'image est sombre, sans éclat (Scott dans Gladiator utilisait d'ailleurs la technique du Bleach bypass, mise au point par Spielberg deux ans plus tôt avec Il faut sauver le soldat Ryan et consistant à zapper l'étape de blanchiment durant la phase de développement, cela donnant l'effet optique marquant d'une juxtaposition d'une image en noir et blanc à une image en couleur et ayant comme conséquence de réduire, on s'en doute, la brillance de l'image. Tiens donc, nous qui parlions justement de monde terne et morose.).

The Eagle ne déroge pas au canon Scottien et le perpétue de la plus belle des manières, l'atmosphère est totalement crépusculaire et grisâtre. Le plan d'ouverture du film nous montre d'ailleurs un travellogue au dessus d'un fleuve où navigue les légionnaires et le Héros, ceux-ci se rendant à leur base perdue en territoire hostile. Avec ce plan tout est dit. Les vastes désert brulants et épique de Troie ou d'Alexandre ont cédé la place à leurs doubles en négatifs: les -par ailleurs superbes- highlands écossaisses et les forêts humides, la pluie et la boue (voir la séquence située au début du film où les soldats fortifient la forteresse).

Avec Gladiator, The Eagle ou Le Roi Arthur on perdait, qu'on se le dise d'emblée, en spectaculaire et en souffle épique. La seule bataille rangée, et par ailleurs grandiose, de Gladiator était située symboliquement dés l'ouverture du film. Après ce ne sera pour Maximus que des combats dans l'arène et on s'amusera même, ultime signe d'une perte du sacré marquant l'entrée dans l'ère du faux et du simulacre, à remettre en scène en miniature au sein de l'arène et truquées par avance les scènes clefs du genre: soit les grandes batailles épiques (la bataille de Carthage en l'occurrence) ou alors le duel du Héros face à son antithèse (le combat dans l'arène de Commode et Maximus) pour le bon plaisir d'un public semi-arriéré et uniquement avide de sang, de violence et de sensations forte (métaphore de nos salles de cinéma d'aujourd'hui? (Le pop corn aurait remplacé le pain qu'on distribue à la plèbe, la seule différence étant qu'à l'époque au moins on vous le fournissait gratuitement alors qu'aujourd'hui en plus on vous fait payer... enfin bref revenons à nos romains.) le film de Scott est un modèle de mise en abime de la notion de spectaculaire et de divertissement qui mériterait par ailleurs d'être étudié en profondeur).

Dans The Eagle les scènes de batailles sont, elles aussi, peu épiques (ce qui ne veut pas dire, qu'on soit claire, qu'elles ne sont pas stimulantes). Mac Donald préfère clairement l'immersion violente (à la limite de l'illisibilité parfois, ce qui est dommage...) à la sidération du regard devant l'image. On est au plus près des corps et des coups et le cinéaste ne se permet pas souvent des plans d'ensemble sur les combattants. Les combats manquent donc sciemment d'ampleur épique (ce n'est pas le gouffre de Helm des Deux Tours autant se le dire) tout en restant tout de même galvanisant.

The Eagle se permet par ailleurs la citation à plusieurs reprises du modèle Gladiator: des roues des chars des barbares d'où dépassent des lames tranchantes, au combat de gladiateurs dans une petite arène (qui évoque aussi Spartacus, un des modèles du film de Scott avec La Chute de l'empire romain d'Anthony Mann) en passant par, et c'est le plus intéressant, le recours aux flash back du Héros Marcus qui rappellent esthétiquement ceux de Maximus.

Scott avec ces flash back frappait un coup de maitre et réinventait le genre en l'ancrant aux tourments et aux troubles intérieurs du Héros. Car en effet le grand sujet de films comme Gladiator, Le Roi Arthur et The Eagle c'est bien la place et l'avenir du héros au sein de ce monde en train de muter. Car qui dit passage d'une ère à une autre dit fatalement disparition d'une race (celle des Héros/ guerriers mythiques) et apparition d'une autre qui va la supplanter (les politiciens et les comploteurs type Commode, on l'a dit).

Maximus, Arthur, et Marcus (héros de The Eagle) appartiennent et c'est bien là le problème à la race des guerriers en voie d'extinction. Ils sont braves, courageux (Marcus n'hésite pas à sortir avec quelques légionnaires affronter les centaines de barbares qui encerclent le fort au début du film dans le but de sauver ses hommes prisonniers), et ce sont des hommes d'actions avant tout. mais le monde dans lequel ils évoluent n'est plus pour eux. Maximus sera tout juste bon à faire la bête de foire dans l'arène et Marcus à son arrivée dans le fort dont il a le commandement se rend compte que le laisser aller règne tandis que ses adjoints ne voient guère d'un bon oeil son arrivée. Il y'a rupture du héros avec les personnages l'entourant et il y'aura par conséquent chute sociale de celui-ci. Maximus passe de général pouvant devenir empereur à gladiateur et Marcus de centurion à retraité forcé et même plus tard à esclave de son esclave.

Pour résumer tout tient alors en une idée clef: la perte du sacré. En effet les anciennes valeurs sacrés: courage, héroïsme, honneur tendent à être remplacées et à devenir caduque. Toute la trajectoire des Héros type Maximus ou Marcus va être de lutter contre cette perte des valeurs sacrés et ils tenteront de réinjecter de l'héroïsme, du sens, un but, à ceux qui les entoure (c'est le choix des compagnons gladiateurs de Maximus acceptant de combattre et de mourir face à la garde républicaine dans Gladiator, ce sont les soldats rescapés de la neuvième légion qui avait désertés, réapparaissant à la fin du film pour épauler Marcus et se sacrifier pour l'aider face aux barbares le traquant).

Réaffirmer les valeurs, réinjecter du sacré c'est là tout le sujet de The Eagle, et tout est à ce titre dans le titre (pardonnez le jeu de mot involontaire), The Eagle: L'aigle (pour ceux qui n'auraient pas compris...). L'aigle de cette neuvième légion qui fut décimée vingt ans plus tôt, cet aigle qui incarne la gloire et l'honneur de Rome, cet aigle qui doit être perçu comme l'ultime symbole sacré de l'empire, eh bien cet aigle a disparu! (cette trame évoque un des épisodes de la somptueuse série Rome où les deux héros doivent aussi retrouver un aigle disparu). Belle métaphore signifiant qu'au dessus de cet empire romain il ne plane définitivement plus aucune aura sacré. Toute la tache que s'imposera lui même le Héros (car on s'en doute tout le monde s'en fout de cet aigle) sera alors de le retrouver et de le ramener et par là même de laver l'honneur de sa famille (son père, qui était le commandant de la neuvième légion disparue, est tenu pour responsable de la perte de l'aigle). Tentative folle et désespérée de réinjecter du sacré, et les valeurs énoncées plus haut l'accompagnant, dans une société où il tend à s'évanouir. Ultime tentative aussi pour le héros de prouver son existence (lui qu'on a mis à la retraite) et d'affirmer son identité.

Et ce qui est intéressant dans ce périple du héros c'est que la réaffirmation de l'identité ne peut plus passer par le même, c'est à dire le compatriote car il n'a plus les mêmes valeurs, et va alors passer par l'Autre, le barbare, l'ennemi. Ce qui était déjà esquissé dans Gladiator (le barbare Juba avec qui Maximus se lie d'amitié) devient un concept central du film de MacDonald avec le personnage interprété par l'excellent Jamie Bell (futur Tintin chez Spielberg).

La quête de Marcus prend les allures des grandes quêtes mythiques où "le héros laisse son monde et s'en va au loin. Il descend dans les profondeurs ou grimpe sur les sommets et là il trouve ce qui manque à la conscience de ses semblables." comme l'expliquait le mythologue Joseph Campbell. Prenez cette définition et appliquez là au film, tout colle: l'enfoncée dans les profondeurs étant bien sur cette séquence où Marcus récupère l'aigle sacré au fond d'une caverne, cette aigle qui incarne, on l'a montré, "ce qui manque à la conscience de ses semblables", Marcus veut ramener du sacré, lutte pour que le monde auquel il appartient survive encore un peu.

Et le Héros va se scinder en deux entités complémentaires (notons que symboliquement le casque du gladiateur qu'affronte (et c'est un grand mot) Jamie Bell sous les yeux de Marcus a la forme de deux visages). La solution passe par l'Autre, par Jamie bell, et la quête mythique, qui est par ailleurs quête identitaire (on pense beaucoup à Apocalypse Now dans The Eagle), revient pour Marcus à l'acceptation de cet Autre; "c'est le thème de base du voyage universel du héros: l'abandon d'un état et la découverte d'une source de vie qui lui permet d'accéder à un autre état, plus riche et plus responsable" pour citer de nouveau Campbell. Cet quête spirituelle ira même jusqu'à l'inversion des identités (le maitre devient esclave et vice versa, les relations dominant/dominé semblant jouer un rôle important chez McDonald, voir Le Dernier Roi d'Ecosse)) pour finir par l'union visuelle symbolique lors de la toute fin du film quand MacDonald se permet un plan sur les jambes des deux hommes marchant exactement à la même cadence et se confondant presque tandis qu'ils ramènent sous les yeux éberlués l'aigle sacré. Le héros a reconquit sa place de Héros, laver son honneur et réaffirmer son identité.

Mais dans ce dernier très beau plan où les deux personnages s'éloignent avec le sourire aux lèvres et la satisfaction du devoir accomplie une petite dose d'interrogation pointe le bout de son nez: que va devenir Marcus? Va t'il quitter définitivement cet empire où il n'a plus sa place pour refaire une vie de l'autre coté du mur d'Hadrien avec son compagnon? Who knows...

Avec The Eagle MacDonald livre un film superbe (notre préféré de l'auteur avec le magnifique Le Dernier Roi d'Ecosse) et continue à creuser la lignée ouverte par Gladiator. Certains pourront y déceler, comme c'est le cas dans beaucoup de films antiques, la volonté de porter un discours sur l'Amérique contemporaine (évocation de la guerre en Afghanistan ou en Irak etc...) nous n'avons pas préférer creuser cette piste mais elle semble tout à fait pertinente, à défaut d'être selon nous particulièrement intéressante à commenter.

Pierre Andrieux

lundi 2 mai 2011

ANIMAL KINGDOM : Logique de la non-sensation


''Au fond, ce qui différencie essentiellement l'Homme de l'Animal, c'est que l'Homme peut se révolter contre l'ordre des choses", Oswald Arlando.

Publié par Thomas K.

Lorsque sa mère décède, Josh, jeune homme de 18 ans, part vivre dans la banlieue de Melbourne chez sa tante et ses oncles, qui forment une famille de truand. Mais la brigade anti-gang les tient à l'œil...

Les critiques sont unanimes pour Animal Kingdom : la première œuvre David Michôd est une réussite. Toutes ces critiques ont en commun cet encensement pour le refus du spectaculaire qui parcourt le film. Décortiquons donc, dans la mesure de mes capacité limitées par un unique visionnage et par le manque d'expérience (je suis dans cette période de ma vie où je suis à la fois trop vieux et trop jeune - mais je m'épanche), ce moment de cinéma pas comme les autres, et, selon moi, pas forcément pour le meilleur...


Ce paragraphe dévoile les premiers plans du films.

Le film a le mérite d'annoncer la couleur dés les premiers plans : il s'ouvre sur une gravure représentant le sommet du règne animal : des lions, avant que l'on découvre Josh sur son canapé, sa mère endormie à côté de lui. L'adolescent regarde a télévision, tout est normal. Mais en fait, rien n'est normal, les secours arrivent, la mère a fait une overdose, elle est morte. Mais pas d'expansion, pas de cris, pas de pleurs. Josh ne peut s'empêcher de détourner son regard vers la télévision, désintéressé du drame qui se déroule sous ses yeux, de la même manière que Nicole Kidman lançait un regard absent vers la caméra dans Eyes Wide Shut en plein ébat avec son mari. C'est que la vie, la mort, tout ça, ce n'est pas comme ce qu'il se passe derrière l'écran de télévision, ce n'est pas glamour, ça ne fait pas rêver, pas comme cette émission haute en couleur qui attire le regard de Josh, contre la mort de sa mère, prosaïque, simple, évidente, non sensationnelle, sans sensation.

Fin du petit spoiler

Animal Kingdom va cultiver tout au long du film cette logique de l'évènement nié dans sa production de sensations. Le fait que l'évènement se produise ne suffit pas à créer une substance de ressenti, de la matière à vivre. Le film est glacé comme un iceberg dans un frigo géant. Tout est économisé, la parole, les gestes. Josh passe la majorité du film à répondre ''it's ok'' ou ''it's fine'' lorsqu'on lui parle. Vraiment, c'est à croire qu'il ne sait rien dire d'autre parfois. Et le jeu du jeune James Frecheville qui campe Josh en est complètement atone. C'est une performance assez impressionnante du non-jeu. Cette économie du jeu se retrouve dans tous les personnages ; vraiment, on est dans le refus de l'expansion. Logiquement alors, les premiers à mourir seront ceux qui ont la parlotte plus facile, le mouvement plus névrosé, le corps plus incarné par la vie. Survivre, c'est se taire ; c'est d'ailleurs la conduite que l'avocat enjoint Josh d'adopter lors de l'interrogatoire.

Cette logique de la non-sensation découle de l'acceptation absolue de l'ordre des choses. Josh le dit dans la voix off au début du film ; les choses auraient pu lui paraître étrange, mais elles se sont contentées d'être, selon le bon déroulement des évènements. Les personnages passent leur temps à faire simplement ce qui doit être fait, sans émotion, sans discuter, sans grain de sel, sans subjectiviser l'action en devenir. On ne pense pas l'action, on l'accomplit, c'est tout. Le film est imprégné d'une froideur animale, les personnages semblent privés d'un pan de leur libre-arbitre, d'une partie de leur conscience, tant ils répondent à des lois de cause à effet immuables qui les poussent à l'action comme le lion est poussé à terrasser la gazelle.

Dans cet univers froid et sans émotion, l'action est fulgurante, fugitive, un éclair dans la nuit. Elle tient du l'ordre du choc, dans sa vitesse d'exécution et parce qu'elle créé le mouvement, mais surtout parce qu'elle vient créer un sursaut d'intensité dans une diégèse apathique. Les scènes de meurtre se résument à un pic sonore au moment du coup de feu, une gerbe de sang qui imprègne les alentours, et c'est terminé. Le film se veut naturaliste au possible. La mort est incisive, jamais stylisée, ou alors stylisée dans son potentiel non-dramaturgique. Jusqu'à une scène d'overdose provoquée, filmée comme un simple laissé-aller, puis un pic de violence, puis rien. Le cadavre est le devenir logique des personnages, il est le corps de l'inertie par excellence.
Les corps sont donc condamnés à l'inertie, celle de la mort, ou celle de l'immobilisation (l'emprisonnement par exemple). Josh le dit au début, et cette pensée sera relayée par l'inspecteur Leckie à la fin : quelque part les protagonistes sont conscients de leur devenir-catatonique. Ce n'est qu'une question de temps avant que l'ordre des choses ne les rattrape.

Mais dans ce grand tableau de la sensation morte, parfois les émotions surgissent, et on comprend qu'elles avaient été contenues, refoulées. Ce sont les larmes de la grand-mère, qui avoue, dans un rare moment de vérité humaine, qu'elle n'arrive plus à relativiser l'évènement. Ce sont les terrifiantes crises de violence de Pope, l'oncle leader de la famille ; terrifiantes de par leur brève intensité, comme un instantané pulsionnel, évanoui aussi vite qu'il est advenu. Ce sont les larmes de Josh dans la salle de bain, troublantes d'abandon de soi, mais, répondant à ce dynamisme de surgissement/disparition, vite essuyées pour revêtir le masque d'acceptation de ce qui advient, sans laisser de trace de la sensation. L'émotion doit être contrôlée, maîtrisée, et bannie. La survie ne tolère pas le ressenti. Les animaux ne pleurent pas.

Il vient un moment dans le film où on offre à Josh la possibilité de recouvrer le libre-arbitre qui manquait tellement ; on lui offre le choix. L'adolescent semblait déterminé à la non-sensation, même dans sa relation avec sa petite-amie (la jolie Laura Wheelwright) qui se déroule sans passion. Mais le choix relance la potentialité de la sensation. Il vient bouleverser l'ordre des choses. Du moins, c'est ce qu'on nous fait croire. Car l'arrangement final trouve en réalité sa conclusion dans la toute dernière scène, qui est un retour final à cette continuité logique et implacable, cet ordre des choses auquel on ne peut échapper, et qui admet que pour chaque action, une conséquence logique advient. Cette dernière scène perpétue le mouvement de causalité qui donne au film cette dimension de royaume animal mû par les lois de la nature humaine. Cela peut sembler un contre-sens, mais c'est en fait un rappel que l'homme est avant tout...un animal.

Certains critiques ont comparé le film à Meanstreet de Scorsese, ou Reservoir Dogs de Tarantino. Si Animal Kingdom partage avec ces deux œuvres un certain goût pour le non-spectaculaire, la comparaison me semble s'arrêter là. Dans les deux films cités, les personnages sont traversés par un trop-plein d'énergie, une dépense verbale ; ce sont des personnages de l'expansion, de la névrose, des personnages agités comme le Rick Santoro de Snake eyes (Brian De Palma), qui ont besoin du mouvement frénétique, de la parole incessante, violente, agressive. On a bien vu qu'Animal Kingdom propose exactement le contraire...


Ce qu'il y a, c'est qu'à force de proposer des personnages dans l'incapacité d'éprouver la sensation, le film empêche l'empathie, et il faut bien le dire, on ne ressent pas grand-chose non plus. C'est un moment de cinéma qui ne procure pas d'émotion, qui laisse un peu froid, un peu distant, et c'est tout à fait voulu, mais ce qu'on gagne en originalité du traitement, on le perd en immersion, en plaisir catharsique. On sort de la salle en pensant avoir vu un bon film, mais sans avoir été bouleversé, sans avoir été emporté. La logique de la non-sensation est tellement implacable qu'elle vient s'appliquer au spectateur. Reste alors cet aveu terrible, cette prise de position contestable, cette philosophie négationniste : il n'y a rien à ressentir, puisque nous ne sommes que des animaux.

++

Thomas K