mercredi 30 mars 2011

Sucker Punch PARTIE 1 : Splendeur Vidéoludique

''Individuellement, l'imagination est la seule vraie force des plus faibles'', Tommy Lee Kins.

''Tous les fantasmes des nouvelles générations sont tournés vers les nouveaux mythes du numérique, les réseaux abstraits qui produisent de la consistance et les figures décomplexées des héros vidéoludiques. La vie ne doit plus ressembler à un film, elle doit être un jeu vidéo'',
Dona Donovan.


Baby Doll est enfermée dans un asile psychiatrique p our avoir accidentellement tué sa sœur. Dans cinq jours elle sera lobotomisée. Cinq jours pour s'évader. Mais la meilleure évasion reste l'imagination.

Beaucoup de critiques n'ont pas hésité à descendre le film sous prétexte qu'il ressemblait à un jeu vidéo. Il est à la fois pénible et amusant d'être le témoin de cette diabolisation vidéoludique érigée par des journalistes pompeux de quarante ballets (si vous me permettez de transformer l'expression ''quarante balais'') qui pensent que la dernière console à la mode est la Gameboy Color. Bref, mesdames et messieurs, permettez-moi d'annoncer que oui, Sucker Punch s'inspire énormément de l'esthétique vidéoludique, et que non, cela n'est pas un tort mais au contraire l'occasion d'une exigence et d'une magnificence formelle tout à fait sidérante. Sucker Punch est vraiment un film des années 2010 : jsuqu'au-boutiste, sans concession, ancré dans l'ère numérique. Place au cinéma de la civilisation virtuelle moderne.

VIDEOLUDISME

Sucker Punch prend le prétexte de l'évasion par l'imagination pour donner à voir des environnements et des actions qui tiennent du délire visuel. On pense un peu à Brazil, où le personnage s'évader de son quotidien terne en rêvant, où au plutôt récent L'Imaginarium du Docteur Parnassius. Mais là où le film de Terry Gilliam, comme celui de Peter Jackson Lovely Bones, manquent de rigueur et de cohésion dans la présentation de leurs univers fantasmatiques et oniriques, donnant à voir des images fantastiques mais qui ne valent que pour elles, sans vraies structures identificatoires, le film du nouveau génie formaliste d'Hollywood Zack Snyder construit une cohérence qui ne se situe pas au sein même du film mais dans les analogies avec l'univers du jeu vidéo.
Ainsi les personnages doivent rassembler des ''items'', devant à chaque fois relever un challenge dans des nouveaux univers qui s'apparentent à des ''niveaux'', dans lesquels on peut même se trouver face à un ''boss'' (comme le dragon) ou des armées de robots, de soldats allemands zombies, où de créatures qui rappellent fortement les Orcs du Seigneur des Anneaux de Jackson. Les univers visités sont des classiques de vos vidéothèques : champ de bataille de la première guerre mondiale, train futuriste, château/donjon, temple samouraï. Adapter Sucker Punch en jeu-vidéo, ça serait comme faire un film sur la franchise Metal Gear : presque une forme de pléonasme.

Ce sont ces environnements structurants et connotés qui font la force des scènes d'évasion par l'imagination du film. Le personnage énigmatique du vieux mentor appuie cette structure par une redondance de la forme verbale : les filles ont le droit avant chaque ''mission'' à la formule ''briefing, citation et dernier conseil''. Les univers qui encadrent les scènes d'action sont indépendants les uns des autres, et ne valent pas seulement pour leurs débordements formels mais bien pour les affrontement qu'ils abritent.

Snyder aime les combats et les mélanges. Baby Doll se bat avec un katana et un revolver (quelqu'un a dit Devil May Cry ?), Rocket sort parfois son pistolet de pirate lorsqu'elle lâche sa mitrailleuse automatique, Blondie aime jouer de son Tomahawk... Armes blanches et armes à feu, armes rétros et armes dernier cri, anachronismes au sein des univers codés des scènes d'action, tout ceci vient plus des grandes figures du jeux vidéo que de celles du cinéma. Beaucoup de scènes ont d'ailleurs des allures de grandes cinématiques (ce sont les scènes où l'on ne joue pas dans les jeux-vidéos).

Ces scènes qui représentent narrativement l'imagination de Baby Doll sont des formalisations d'une esthétique vidéoludique. C'est bien que l'univers du jeu vidéo est venu se substituer à notre imagination, ou plutôt, il la nourrit, il en devient le doublon, l'avatar. En parlant d'Avatar, Jean-Baptiste Thoret écrit : " le film de Cameron invente une troisième voie, celle d’un jeu vidéo filmique ou d’un film pour spectateurs gamers". Le film de Snyder irait dans ce sens. Les mondes dérivés de l'imagination de Baby Doll sont des des mondes-défouloirs, des mondes à sauver, des mondes à objectifs qui prennent fin en même temps que ce dernier est accompli. Des mondes violents, stylisés à outrance, qui ne valent que pour le mouvement catharsique qu'ils incarnent, le déluge visuel et l'euphorie qu'ils procurent. Un film vidéoludique ?

Peu abordée dans cette critique, il est évident que l'influence de l'esthétique manga est prédominante dans le film. Costumes, look des personnages, positions, mouvements, on est presque dans un anime. Mais de toutes façons, la digestion de l'esthétique manga par l'ère du numérique est d'un des enjeux essentiel de la vidéoludie moderne ; l'une des instances de modernité du jeu vidéo des années 2000/2010 est qu'il s'empare de l'esthétique manga hyper stylisée pour créer une nouvelle frénésie visuelle hybride.

Snyder digère les exubérances de l'esthétisme du jeu-vidéo pour produire des images outrancières, sidérantes, qui flirtent parfois avec le mauvais-goût. Ralenti façon Bullet Time (héritage de films comme Matrix et de jeux comme Max Payne et Fear), costumes à la Final Fantasy, méchas et héroïnes d'inspiration manga, mondes de flammes et d'apocalypse, toutes ces données de la teen culture tendent à s'additionner pour créer des scènes au filmage de folie, presque décadent. Voir l'affrontement contre les robots dans le train. Un plan séquence unique, presque du jamais vu, l'illusion d'une continuité et d'une fluidité parfaite, comme si on avait accompli ce qu'Hitchcock avait caressé avec La Corde. Hallucinant. Alors oui, platement, on peut dire que ça ressemble à du jeu-vidéo. Moi je dirais plutôt que ça ressemble à ce que le cinéma peut produire de mieux dans son intégration de l'art vidéoludique.

DE L'AUTRE CÔTE DU MIROIR

Le film a un petit air de Alice au Pays des Merveilles revisité (l'oeuvre de Lewis Carroll, pas l'objet abjecte de Tim Burton, qui ressemble d'ailleurs plus à un Narnia qu'à autre chose). Rappelons donc pour les esprits récalcitrants que l'univers d'Alice est glauque, sinistre, rempli de sous-entendus sexuels, parsemé d'une folie absurde inquiétante et de jeux de langages perturbants.

Mais si Baby Doll est Alice, où se situe le pays des merveilles ? Le film propose un engouffrement psychique à tiroirs assez osé, qui rappellerait presque les aberrances lynchéennes dans la dénivellation du refoulement de la réalité et la redistribution des rôles et objets. C'est ainsi que l'hôpital psychiatrique devient un bordel où toutes les cartes sont brouillées et redistribuées. De l'un à l'autre, on a troqué les couleurs ternes, l'esthétique crasseuse de l'hôpital pour quelque chose d'un peu plus clinquant, plus glamour. C'est l'éternelle assimilation du réel digéré et transformé en quelque chose de plus confortable, de plus supportable, par et pour l'esprit. Mais la réalité que dépeint Snyder est tellement dépressive que sa valorisation par le refoulement psychique est un bordel. Sucker Punch, pessimiste ? Peut-être pas. Disons que le film pousse ses personnages à bout, pour ne leur donner plus qu'une alternative : se battre, et se sacrifier. La victoire n'est pas de se sauver soi-même mais de sauver l'autre.

Jérôme Vermelin écrit pour METRO que Sucker Punch ''est une comédie musicale déguisée en film d'action''. C'est qu'aux scènes de danse supposées être envoûtantes de Baby Doll se substitueront toujours les scènes de combats. L'affrontement est donc la formalisation psychique de la danse. Je sais, ça sonne compliqué et pompeux. Je m'explique : ce qui est supposé être un acte de danse à un premier niveau devient, à l'intérieur de l'esprit de Baby Doll, et au niveau de ce qui nous est montré, un combat titanesque. Il en devient donc parfaitement logique que les scènes d'action soient mises en scène comme des chorégraphies, avec une esthétique franchement clipesque, puisqu'elles interviennent au moment d'une danse du personnage, qu'elles remplacent, elles figurent la danse même. Les séquences du bordel véhiculent tout un imaginaire proche de celui de Moulin Rouge. Teen culture oblige, le film se devait d'être sexy. De toutes façons, Snyder aime les corps sculpturaux, à la belle plastique (300, Watchmen)...et nous aussi.

Le pays des merveilles engloutissant, propre à la confusion et la perdition d'Alice est devenu une perdition psychique. Baby Doll est tiraillée entre ses dénivellations de fantasmes. Comme Alice, elle passe littéralement de l'autre côté du miroir, à l'occasion de deux scènes, l'une où les filles discutent dans leur loge, et l'autre alors que Baby s'apprête à danser face à ses camarades. Ces plans sont ambigües, nous ne savons pas vraiment à quel moment nous sommes d'un côté ou de l'autre du miroir. La caméra effectue une rotation surprenante dans sa continuité qui a une valeur de franchissement, et le reflet prend le relais de la monstration, transformant ce que l'on prenait pour la donnée réelle en reflet. Il ne manque plus que le lapin emblématique du pays des merveilles. Si vous le cherchez, il est dessiné sur le mécha que contrôle Amber dans la scène de guerre.

Dans Alice au pays des merveilles, Alice s'endort alors que sa sœur lui raconte une histoire. C'est aussi sa sœur qui la réveillera pour l'extirper du cauchemar que sont devenues ses aventures à Wonderland. Dans Sucker Punch, la soeur est tuée au début du film. Mais comme dans le livre de Carroll, l'évasion imaginatoire et le retour à la réalité nécessitent le lien de sororité. D'où la fascination immédiate de Baby Doll pour ses camarades, dès son arrivée à l'hôpital, notamment par un champ/contre-champ qui a vertu de focalisation entre elle et l'une des filles de son équipe située sur la scène du ''théâtre", le lieu de l'hôpital où doivent se rejouer les drames pour être extériorisés.
Sweet Pea et Rocket sont elles-même sœurs, et un des enjeux psychologiques du film pour Baby Doll est de devenir le troisième membre de la famille. C'est à cette condition seulement qu'elle peut s'évader dans son imaginaire, et en revenir. On a rien à imaginer si l'on à personne à qui l'on tient, c'est ce que leur dit le passeur dans son conseil rituel lors de la scène de guerre : "si on combat pour rien, on se laisse aller à n'importe quoi". C'est dans le lien de sororité que se trouve la raison de se battre.

Cette figure du passeur est décidément bien étrange. La voix off de Baby nous parle au début du film d'un gardien, de quelqu'un qui veille sur nous. Mais le film véhicule l'idée qu'on est son propre gardien, et son propre démon (idée intéressante, à mettre en relation avec le slogan ''who watches the watchmen'' de Watchmen). Pourtant on découvrira que ce passeur a une existence réelle. Il n'est pas seulement un corps allégorique. Peut-être le message est-il que quelque soit la force immanente qui git en nous, elle est véhiculée par les connexions extérieures que l'on établit avec les autres êtres. Tout dépend de nous, si l'on accepte de dépendre des autres. il n'y a pas de vraie victoire individuelle. ''Tu dois vivre pour nous toutes".

Le film débute par un lever de rideau, la chambre de Baby Doll est une scène de théâtre. Cela renvoie à la mise en scène du réel effectuée par Baby. On l'a dit, le ''théâtre'' de l'hôpital est le lieu de l'extériorisation des maux. Toute la monstration du bordel est un théâtre, et les univers des scènes d'action un théâtre dans le théâtre, lieux de relâchements pulsionnels ultimes où la violence peut être enfin déferlée. Mais ce lever de rideau originel qui introduit le film me rend confus. Est-ce une remise en doute de toute la monstration du film ? Est-on déjà dans une restructuration psychique des évènements ? Peut-être que la réalité, la donnée primaire, essentielle, ne nous a jamais été montrée...

La dramaturgie, par ce genre de subtilités formelles, est donc plus vicieuse, moins simpliste que ne veulent le faire croire certains critiques pour qui les scènes de parlottes rendent le film insipide. Il est vrai que la parole tient une place ambigüe dans le film. Pratiquement évincée des scènes d'action, on lui reproche aussi d'être sans saveur, plate et convenue dans les scènes au bordel. Mais c'est que la parole s'établit dans un univers factice, bricolé psychiquement ; un monde simulacre encore accentué par l'univers de ''show-biz" du bordel/cabaret qui est un lieu de spectacle. Comment dans un tel univers la parole pourrait être autre chose qu'édulcorée et superficielle ? La diégèse elle-même se veut édulcorée et superficielle, et ce d'un pure point de vue narratif !
D'ailleurs dans cette diégèse les personnages n'ont pas de noms réels, juste des surnoms : Rocket, Blondie, Sweet Pea, Baby Doll. Leur identité, c'est leur corps, pas étonnant vus qu'elles sont les attractions d'un bordel. Snyder était un réalisateur de pubs, il a l'habitude des pures informations visuelles, des images les plus connotées et les plus éloquentes. Les filles de Sucker Punch portent plus leurs informations psychologiques dans leurs expressions faciales, leurs postures, que dans leurs mots. Toute l'introduction se passe de parole, construite habilement sur une ré-interprétation de Sweet Dreams (are made of this) (Snyder sait soigner ses débuts de films), mais la force de la mise en scène est là. Snyder est tellement fort à l'image que le dialogue peut se permettre de se faire l'écho du simulacre de la monstration.

Pour faire un rapide arrêt sur la bande-son, elle est assez jouissive, composée en majorité de titres cultes comme Search and Destroy et Sweet Dreams déjà cité, plutôt inspirés dans leur ré-interprétation (sauf pour la version pathétique de Where is my mind). Snyder aime monter ses films en rythme avec la bande sonore. Et cela fait toujours son petit effet (affronter un dragon au katana sur Search and Destroy, franchement, ça a de la gueule non ?).

Les moments d'absence de Baby, lors des scènes frénétiques d'action, semblent être influencés par les évènements qui se déroulent dans le niveau de réalité du bordel ; de la bonne marche de ces évènements dépend la réussite de la mission intériorisée. Mais un renversement épineux s'effectue lors de la séquence en cuisine, alors qu'elles doivent récupérer le couteau. Soudain le statut des niveaux de réalité devient ambigüe, et la scène intérieure de bataille semble devenir prémonitoire, voire déterminante par rapport aux évènements du bordel. Quel niveau de réalité/fantasme influe sur l'autre ? On a une sorte d'inter-contamination des strates de réalité, enchâssées dans un déterminisme postulé par la collecte des cinq items qui tracent une voie à suivre, une succession d'évènements jusqu'à la résolution finale, de l'ordre de la fatalité.
C'est qu'on est arrivé trop tard, tout s'est déjà produit. Comme chez Lynch, reconstruire le réel n'en change pas l'issue finale. L'évasion imaginatoire est déterminée par les conditions de production du réel. C'est donc une échappée illusoire, ce que Guy Astic appelle une fuite psychogénique, où comment l'évasion du réel n'en est que la reformulation psychique, mais jamais le changement. L'évasion immanente ne peut se défaire du cours extérieur des choses.

ATTENTION SPOILERS : CETTE PARTIE DE LA CRITIQUE DEVOILE LA FIN

Mais le retour au réel pour Baby Doll se traduit par l'évasion définitive et tragique : la lobotomie. Elle ne peut plus se réveiller, contrairement à Alice qui est réveillée par sa sœur. Baby a tué sa sœur, elle est condamnée au sommeil artificiel. Mais la culpabilité du meurtre originel s'estompe un peu grâce au sacrifice de Baby pour sauver sa sœur de substitution. La fin fait figure de rédemption, dans ce dernier regard qui ne nous est pas montré, mais qui perturbe tellement le médecin qui s'occupe de la lobotomie : ''c'est comme si elle le désirait''. Là, les mots prennent un poids plus considérable que celui des images. Baby est déconnectée du réel, pour toujours. Ses sœurs sont décédées ou se sont enfuies, personne n'est là pour la réveiller. Elle est laissée à l'abandon dans une terminale et déchirante évasion psychique.
Peut-être pouvons nous alors rebondir sur la figure du passeur. On assiste à la fuite de Sweet Pea, lorsqu'elle monte dans le bus. Mais Sweet Pea est trop bien habillée, trop bien coiffée (elle vient de s'enfuir d'un hôpital psychiatrique), et le gardien/passeur est là, conducteur du bus. C'est que toute cette scène finale est le dernier fantasme éternel de Baby Doll déconnectée à jamais de la réalité. Elle voit, dans ses rêves lobotomisés, sa sœur s'en sortir, s'évader physiquement quand Baby est condamnée à l'évasion psychique. C'est certainement pour cela que le passeur est présent : on est encore dans un fantasme. Et la présence d'un gamin qui tourne la tête vers Sweet Pea en montant les marches du bus appuie cette idée : regardez bien, c'est le même gamin qui est présent dans les tranchées du monde de la première guerre mondiale. On a également le même mouvement rotatif de la caméra qui tourne autour de Sweet Pea que lors des rotations autour de Baby juste avant l'évasion psychique. Comme dans le monde d'Alice, on a une perte des repères. Sucker Punch vagabonde entre les réalités, narrativement et formellement.

FIN DES SPOILERS

Sucker Punch déchire nos rétines et nos cœurs. Explosion formelle influencée par la teen culture vidéoludique, ambiguïté des niveaux de réalité, rage, désespoir, cruels ennemis...et au milieu de tout ça, cette question en suspend que se posait déjà Edward Norton à la fin de Fight Club, cette rengaine mélancolique à la fois universelle et tellement individuelle : Where is my mind ?
Way out in the water, see it swimming...si on en croit Black Francis.

Cette critique fut difficile à écrire, merci à ceux qui ont eu le courage de la parcourir de bout en bout.

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Thomas K.

lundi 28 mars 2011

Winter's bone : Aléas de la stagnation

''Voici venu l'hiver de notre déplaisir''
Richard II, Shakespeare

Publié par Thomas K.

Ree a 17 ans, elle vit dans les forêts perdues du Missouri, sa mère est une sorte de légume, elle a deux jeunes frères et sœurs dont elle doit s'occuper, son père a disparu depuis qu'il est sorti de prison, sa maison va lui être prise si elle ne le retrouve pas. Vous voyez le tableau. Certains penseront sûrement au récent True Grit où une gamine revancharde partait à la recherche de l'assassin de son père. La confrontation au monde adulte, la jeunesses bafouée, volée, partie en fumée, on retrouve tout ça dans Winter's Bone. La petite Mattie Ross devait affronter l'univers hostile du Western. Pour Ree, c'est bienvenu chez les Rednecks.

On pense évidemment à Délivrance, de John Boorman, pour la représentation d'une Amérique marginale et dégénérée (les personnages sont consanguins). Le monde de Ree est peuplé de tronches, de drogue, de baraques insalubres posées pêle-mêle dans un décors de bois mort et de rivières boueuses. Ne cherchez pas la beauté dans Winter's Bone, elle est complètement absente. Pas d'image d'épinal d'une nature luxuriante, pas de jolies corps aux formes avantageuses, pas d'idéal bigger than life. Et pourtant le film n'est pas désespérant. Une sorte de platitude diffuse le parcours de tout son long, un prosaïsme de l'ordre de la fatalité acceptable, comme si l'on suivait simplement le cours des choses. Cette étrange neutralité, que l'on retrouve dans la facture classique mais consciente et efficace de la réalisation et du montage, fait que l'on accompagne Ree dans sa recherche du père sans véritable empathie, sans abandon sentimental à la dramaturgie. On est une sorte de contemplateur immobile, plutôt qu'un spectateur immergé dans l'action.

Et cette impossibilité de dépassement de la platitude de la fiction renvoie à la condition même du personnage : Ree se contente de subir les aléas de la stagnation, tournant en rond, revenant toujours au même point de départ, la si précieuse maison, croisant les mêmes têtes, et toujours avec cette même idée simple : retrouver le père pour garder la maison. Rien d'autre ne compte.

Nous sentons alors que le point de vue dans le film est celui étriqué, tronqué, de Ree : les histoires de trafic de drogue, de rivalité entre les habitants de ce petit monde-poubelle, de qui a trahi qui et pourquoi, tout cela reste flou, abordé sans être vraiment expliqué, cela reste confus, et honnêtement, tout comme Ree, nous n'en avons rien à faire. C'est ce que la jeune fille dit au policier quand il lui défend de raconter qu'il s'est dégonflé face à son oncle : ''je ne parle jamais de vous". Ree s'en fiche éperdument de toutes ces histoires. Ce qui compte, c'est sa maison, son point d'ancrage qui lui permet de rester immobile. Le film est à l'image de la petite sœur qui rebondit sur le trampoline dans la cour : une prise de hauteur illusoire, une évasion impossible, et non désirée, ce qui compte c'est qu'on est condamné à atterrir, quelque soit la hauteur du saut. La plus grande épreuve de Ree n'est pas celle où elle se fait tabasser pour avoir posé trop de questions, mais le mouvement même qui l'oblige à aller de personnage en personnage.


Revenons un instant sur ces personnages. Le film peut se vanter de traiter d'un milieux un peu laissé pour compte au cinéma, sur des laissés pour compte. Une sorte d'horreur disparate règne sur le film. On a la sensation que tous les personnages qui peuplent les alentours de la maison de Ree peuvent à tout moment exploser, avoir une montée de violence. C'est la scène où l'oncle la plaque soudainement contre la table pour la dissuader dans ses recherches. Ce qui est intéressant, c'est l'ambiguïté des valeurs des personnages. Lorsque Ree est battue, la porte de la grange se ferme sur elle, nous ne la verrons pas se faire frapper, nous viendrons après-coup. La scène est presque moins violente dans sa monstration pure que celle chez son oncle. Et pourtant c'est l'oncle qui viendra la chercher ; pour le principe, ou pour une véritable affection, cela est dur à déterminer. Quelques valeurs subsistent dans ce monde sauvage et brutal : les hommes ne frappent pas les femmes, on a pas d'ennuis si on ne pose pas de questions, et on est averti avant d'être tabassé. De plus, les personnages ont tous un comportement dualiste face à Ree, tantôt ils l'aident (la voisine lui donne de la viande, une femme finira par lui montrer où est son père), tantôt ils se posent en obsctacles (le voisin lui fait croire que son père est mort dans un incendie, la femme commandite le passage à tabac...).

Le monde est brutal, rude, codé, et la tourmente d'une jeune fille de 17 ans prise dans son tourbillon inextricable aurait de quoi tirer les larmes, une histoire digne de celle de la petite fille aux allumettes. Mais Winter's Bone n'est pas pathétique. Pour rebondir sur cette indicible platitude qui nourrit le film, il ne contient pas d'envolée lyrique, de moment d'extase, d'accélération inattendue. Ree elle-même ne peste pas contre son sort, contre son monde ; justement, son unique souci est qu'on veut la forcer à le quitter. Comme Pierre Andrieux me l'a fait remarquer, le film insiste beaucoup sur des plans de fenêtre, qui mettent à distance l'ailleurs, le lointain, et qui renvoient à cette scène où Ree évolue dans le bâtiment où s'entraînent les apprentis militaires, ceux qui vont voyager, bouger, et qui sont mis à distance de Ree, séparée d'eux par les murs, le couloir, le cadre de porte. Lorsqu'elle va s'engager pour l'argent, Ree ne prend pas la peine de mentir, elle dit bien au militaire qu'elle le fait simplement pour la prime d'inscription, jusqu'à ce qu'il lui dise ce qu'elle a en fait envie d'entendre, qu'elle devrait rester. Il lui dit même que cela serait plus courageux de rester. Sur ce point, on veut bien le croire.

Ree est donc filmée sans jugement, sans pathos, sans résignation, mais avec une certaine dignité et une normalisation de ce qui nous paraît anormal et injuste. Il faut dire que la jeune actrice Jennifer Lawrence est impressionnante. Les personnages de gamines en perdition nous révèlent décidément des perles très prometteuses.
Ree évolue dans un univers du non-évènement, où rien ne prend de réelle importance, où les rencontres et les liens qui tissent le récit semblent arriver de manière contingente, aléatoire, comme toutes ces baraques posées n'importe comment qui viennent déchirer le paysage de la nature.

Nature qui est prégnante dans le film, à travers notamment l'animalité dont il est parcouru : écureuils, vaches, chiens, viande morte, qui renvoient à l'animalité des personnage. Dans Winter's Bone, on se nourrit de ce que l'on chasse. Mais contre un retour, une communion idyllique avec la nature, on a des écureuils shootés au sniper. Des plans en noir et blanc, dans une esthétique d'images d'archives, surgissent au milieu du film pour nous faire voir ces mignonnes petites créatures aller d'arbre en arbre, vivre. Viendra se superposer à ces images la scène où l'écureuil est dépossédé de sa peau et vidé, pour être mangé. Ce ne sont pas des lapins, des cerfs que l'on chasse, mais des écureuils, ces petits animaux qui plaisent à tout le monde et qui vivent dans les arbres. C'est un retour à la nature démythifié, prosaïque, qui laisse un arrière-goût de dégoût. L'accumulation des carcasses mortes sont prémonitoires de la découverte finale. Les corps animaux et humains n'ont plus d'importance. Ils ont une utilité pratique (voir la scène de fin dans la barque sur la rivière) mais la vie qu'ils contiennent est secondaire.

Le film se termine sur l'aveu que rien n'a compté sauf le désir de ne pas changer les choses. La confession de l'oncle, figure bâclée, pas finie, intermittente du père de substitution, sera sans suite, et laissera les révélations en suspend. C'est bien que cela ne comptait guère. L'aveu final de Ree, lorsque son frère lui demande si elle va les abandonner, va dans ce sens. Finalement il ne reste plus que cette maison défendue corps et âmes, et l'impression d'immuabilité qui l'entoure, avec ces arbres, constamment présents dans le film, ces arbres acérés, comme l'exhibition des cicatrices d'un monde du ça et là, de l'au hasard, comme une gigantesque colonne vertébrale dégénérescente, ces arbres qui constituent par là-même l'ossature de l'Hiver.

Lorsqu'on me demande si j'ai aimé Winter's Bone, je réponds : ''je pense que j'ai aimé". On sort du film un peu perdu, confus, sans vraiment savoir ce que l'on vient de voir, ce qu'on ressent, le message qu'on nous a transmis. C'est un film à part, en marge des normes de la production américaine, dont l'étrangeté tient moins de l'univers dramaturgique que du choix de faire de cet univers un non-vecteur de sensations. Le film procure un chagrin intellectualisé mais impossible à ressentir. La chose la plus triste, la pus insupportable, la plus déprimante, c'est qu'il ne nous rend même pas triste.

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Publié par Thomas K.

The Adjustment Bureau

David Norris: All I have are the choices I make, and I choose her, come what may.

Imaginez votre vie comme une trajectoire. Imaginez la comme une simple ligne géométrique bleue, verte ou rouge, peu importe. Cette ligne se promène au sein d'un schéma quadrillé, le tout formant un plan incompréhensible : Le plan. A présent, imaginez que des hommes en costumes, discrets et méticuleux, aient pour mission de ne pas faire dévier cette ligne, afin qu'elle atteigne précisément le but fixé par le grand patron, et cela même si l'amour de notre vie doit passer à la trappe. Vous vous sentez un peu piégé non ?

C'est à peu de choses près ce que vous vivrez si vous vous joignez à Matt Damon pour cette agréable mélo-d'anticipation adapté d'une nouvelle du plan grand paranoïaque du XXème siècle, Philip K. Dick. Le pitch peut sonner comme un énième thriller urbain informe dans lequel évoluerai une figure type d'anti-héro mal dans sa peau, et pourtant vous seriez assez loin du rendu final de l'Agence, dont le titre anglais The Adjustment Bureau est bien moins impersonnel mais trop long à écrire.

Si Matt Damon sortait grandit du mitigé Au délà de Eastwood grâce à une remarquable prestation tout en nuance, il se retrouve ici propulsé dans un film au rythme radicalement opposé. L'agence est un film qui virevolte et sautille en assumant sa légèreté. Car c'est l'amour qui guide ici chaque pas du héros dans un labyrinthe urbain aussi quadrillé que les univers de Nolan.
Et quel amour ! On le voit grandir sous nos yeux, évident dès les premières secondes, les premiers mots. Un amour plausible, mêlant drôlerie et poésie tout en nous épargnant les phrases toutes faites qui jonchent les fictions aujourd'hui, pour laisser les acteurs créer enfin, le précieux magnétisme.
Et puis il faut dire que le film n'a pas trop le temps non plus. David est vite pris au piège de l'agence, et sa rencontre avec Elise va tout changer en traçant une trajectoire inattendu sur le plan.

En utilisant la ville de New York comme un labyrinthe multidimensionnel, David ouvre une porte au coin de la rue et se retrouve au milieu d'un stade de football, ou bien même, en haut de la statue de la liberté. La réussite du film tient dans une simple mais efficace gestion du rythme et de la durée de chaque séquence. Les informations arrivent avec une telle précision que l'on peut aisément parler de parfait calibrage. Le mérite du réalisateur tient dans une idée toute simple mais finalement assez ambitieuse et plutôt rare aujourd'hui : nous faire oublier la part de mystère qui plane autour de cette étrange agence toute puissante et manipulatrice pour se focaliser sur le destin d'un couple que tout sépare.

Miser sur la première idée serait revenu à nous servir un scénario à tiroir dont le dénouement n'aurait encore une fois pas été la hauteur de nos attentes.
L'agence en elle même est donc dépeinte de manière caustique, entre symbolisme et caricature. Une allégorie de ce qu'il vous plaira, Dieu ou grand architecte, mis en scène à la manière des films conspirationnistes des années 1970 (costumes et feutres sur la tête).

George Nolfi fait entièrement confiance à un Matt Damon encore une fois étonnant, livrant une de ces interprétations dont il a le secret. Si Christian Bale peut se vanter d'interprétations spectaculaires (American Psycho 2000, The machinist 2004, , Fighter 2011), Matt Damon, lui, possède le talent de jouer sans jouer, atteignant alors une justesse désarmante. A ses côtés, Emily Blunt complète un duo d'acteurs qui fusionnent dès les premières scènse et nous libèrent enfin des prototypes hollywoodiens, son accent british et sa mine espiègle n'y sont pas pour rien. Un beau cocktail de talent pour une romance que l'on a envie de porter jusqu'au bout.

Pour son premier film, Nolfi s'en sort donc avec les honneurs. Son filme vole, léger comme un plume, avec un sens de l'économie bienvenue et un instinct certain pour créer des images poétiques inattendues, à l'image de ses portes magiques s'ouvrant vers d'autre mondes. Mettre en scène, c'est parfois savoir distiller habillement son énergie avant l'accélération final. Si le réalisateur ne transcende pas son sujet, il se montre capable de le montrer sous un beau jour. L'étrange bonne humeur qui traverse le métrage alors nous étonne, au regard d'un sujet à priori étouffant.

Avec The Adjustment Bureau, nous sommes en présence d'un étrange film hybride, possédant en substance tout les archétypes du film d'action mais préférant se mêler au mélodrame pour accoucher d'un thriller romantique qui fait la part belle aux acteurs, sans surplus ni fausse note, et dont découle une morale, certes évidente, mais bien amené par la belle rhétorique du film.





lundi 21 mars 2011

World Invasion : Battle Los Angeles

Sergeant Major Dever : "We are the last offensive force on the west coast. We cannot lose Los Angeles".

Le cinéma de grand spectacle est en berne. Depuis l'incroyable succès d'Avatar (2009) qui a propulsé une fois de plus James Cameron au rang de plus grand "entertainner" mondiale et maître absolu de la grande forme spectaculaire, plus personne ne semble vouloir rivaliser. Et ce n'est pas cette Bataille pour Los Angeles qui y parviendra !

On se souvient que la bande annonce révélée il y a trois mois en avait fait saliver plus d'un. Reprenant l'esthétique sèche et gris béton de District 9 (2009), B:LA promettait de déployer des séquences dantesques, et l'on priait juste pour que le film ne souffre pas des récurrentes ferveurs patriotiques de Bay et Emmerich, celles la même qui ont bercé notre adolescence perturbée (Indépendance Day 1996, Armageddon 1998).

A l'arrivée, le film propose tout le contraire. Suivant la nouvelle vague spectaculaire qui travaille l'immersion réaliste par la caméra légère donnant un aspect semi documentaire (Cloverfield en 2008, District 9), B:LA est un film de guerre immersif, brut mais peu séduisant. Une fois encore le procédé est traité à la légère et le film manque trop souvent de lisibilité dans les phases d'actions. Au plaisir esthétique et immersif se substitue alors un agacement certains. Les plus belles idées de Liebesman tiennent alors dans ces puissants plans sidérants où le metteur en scène fait survoler au dessus de la tête de ses personnages de rugissantes explosions, le passage d'un hélicoptère, d'un avion de chasse, ou d'un vaisseau Alien.
Le metteur en scène y respecte alors les règles du sublime cinématographique et confronte en une simple contre plongée et dans un même plan, l'homme et son destructeur.

Pour le reste, rien de nouveau hélas. La caméra change de plan toutes les deux secondes sans aucune maestra. le concept de caméra immersive est vidé de son sens premier et les séquences s’enchaînent et se ressemblent. Un tel partie pris esthétique supposait une rigueur importante au niveau du découpage, afin de construire des séquences vertigineuses et rythmées. Il faudra pourtant attendre le dernier quart d'heure du film pour revoir une belle image, celle du vaisseaux mère se dressant majestueusement devant Aaron Eckhart. L'acteur, déjà excellent dans The Dark Knight (2008) de Nolan, fait de son mieux et s'en sort avec les honneurs en composant un beau rôle d'action man physique et viril, qui laisse d'ailleurs supposé un possible avenir dans le film d'action.

Si B:LA est un blockbuster qui remplit à peine son contrat quand au plaisir esthétique qu'il peut procurer, c'est surtout dans ses pauses et ses moment de relâchement que le film est le plus médiocre. Les états d'âmes des soldats ainsi que les moments de désespoirs sont d'une longueur insoutenable. C'est dans ces moments précis, plus que dans les climax, que l'on sent toute la maladresse d'un réalisateur qui semble considérer ces checkpoints obligatoires du film de grand spectacle comme une pénible torture. La musique, d'une insoutenable banalité, n'y est surement pas pour rien.

Le fait est qu'on a envie de donner sa chance Battle:L.A. C'est vrai, les premières minutes offrent des images saisissantes à l'image de ces hélicoptères de combat survolant la baie de Santa Monica dévastée. le réalisateur fait le pari d'un film intimiste car nous ne quittons jamais le point de vue de ce petit groupe de Marines. Respectant ce créneau, Liebesman filme l'invasion Alien à travers des images télévisées volontairement brouillonnes et inquiétantes et, plus que tout, le film est quasiment dépourvue de toute jubilation patriotique.
Certains s'amuseront à hurler le contraire, je le leur conseillerais alors de regarder de plus près l'atmosphère du film : B:LA fait encore les frais du traumatisme du onze septembre, et cette décadente cité des anges se retrouvant dévastée par une force venue d'ailleurs sonne comme une énième auto-mutilation de la part des américains. L'humanité y est clairement présentée plus bas que Terre, désemparée, au point que chaque moment d'espoir dans le film est suivie immédiatement de son contraire et nous enfonce à nouveau la tête dans le sol. Tout ce qu'il reste de patriotisme tiens alors dans une timide célébration du courage des Marines, chose que l'on ne peut en effet pas leurs retirer aux vus des nombreux sacrifices des soldats durant le film.

Le personnage de Eckhart lui même est un traumatisé de la guerre en Afganistan, et son intégration sème le trouble dans un groupe militaire divisé. Si l'on repense maintenant aux scènes cultes qui jallonent Independance Day ou Armageddon (souvenez vous du président américain dans son avion de chasse se sacrifiant pour le peuple, ou encore l'arrivée héroïque de Bruce Willis et ses acolytes dans un plan au ralentie avec en surimpression le drapeau américain) et on en concluera presque sans rire que Battle:LA fait figure de tract antimilitariste !

Un évidente déception donc, même si on ne doute pas des honnêtes intentions d'un film qui ne fonctionne que par de trop rares fulgurances. Si le cinéma américain de grand spectacle parvient petit à petit à équilibrer son propos, il lui reste en revanche à trouver un ou deux nouveaux génies pour en renouveler brillamment la forme. Papy Spielberg et Oncle Cameron peuvent dormir sur leurs deux oreilles.

vendredi 18 mars 2011

"Route Irish" Ken Loach: Corps à la dérive


Ken Loach, cinéaste engagé, radical et jusqu'au boutiste s'il en est, livre en ce moment au regard son dernier film: Route Irish, racontant l'enquête de Fergus ex-mercenaire qui exerçait en Irak à la solde de grosses compagnies financière de retour en Angleterre pour assister à l'enterrement de son meilleur ami (mercenaire lui aussi) tué dans des circonstances louches sur cette « route Irish » (la plus meurtrière du monde nous apprend un personnage) reliant la green zone de Bagdad à son aéroport.

La carrière prolifique du cinéaste débutée à la fin des années 60 est parsemée de chefs d'oeuvres connus et reconnus (de son premier et magnifique film Kes (1969) jusqu'au Vent se lève (2006) en passant par Sweet Sixteen (2002) ou Family Life (1971) et j'en passe pas mal d'autres). Autant dire qu'à la sortie d'un de ses films il y'a toujours beaucoup d'attente. Et c'est peu dire que par rapport au reste de sa filmographie Route Irish m'a laissé perplexe et m'a poussé à m'interroger sur l'évolution du cinéaste.

Ce qui m'a toujours plus dans l'approche de Loach ce sontt les surgissements poétiques au sein d'un univers vu comme froid, gris et profondément aliénant pour l'individu. Le générique de Family Life son second film disait à ce propos déjà tout: avec une succession

de photographies urbaines en noir et blanc Loach, dont le grand sujet a toujours été le social, jouait sur la symétrie froide et déprimante des petites maisons alignés dans un ordre si parfait que ça sentait presque l'univers dystopique. Laissez moi vous présenter une banlieue résidentielle middle class début 70s (l'absence de référent géographique donnait à ces plans une valeur universel) et ça fait froid dans le dos....

Tous les sujets de films comme entre autre Kes, Family Life, Sweet Sixteen ou le très beau Looking For Eric (2009) tiennent dans la tentative de l'individu en position de héros (on peut difficilement parler de « héros » au sens classique du terme chez Loach) de reprendre le contrôle, de s'échapper, de s'évader d'un quotidien morne et normé qu'une esthétique quasi-atonale, proche du documentaire, met très fortement en valeur (la symbolique étant dans le cas de Kes clairement explicite avec ce faucon apprivoisé par le jeune garçon rappelant le Antoine Doinel des 400 coups de Truffaut).

La tentative bien souvent échouait, difficile de lutter contre le système (tout le monde le sait) mais c'est alors que surgissait des moments de grâce. De fulgurantes envolées poétiques au sein de films voulus comme terriblement terre à terre. Instants fugaces de bonheur où venait flotter sous nos yeux ébahis la possibilité d'une échappée, d'un départ, dont l'impossibilité même faisait la terrible beauté.

« Un éclair...puis la nuit! Fugitive beauté Dont le regard m'a fait soudainement renaitre. ». Les quelques vers superbes de Baudelaire pourraient très bien décrire ce que m'ont fait ressentir des séquences comme celle du rodéo en voiture de Sweet Sixteen au dessus duquel planait l'air célèbre de la reine de la nuit de « La Flute Enchantée » de Mozart ou comme celle du taggage à vertu cathartique du jardin de parents castrateurs et hypocrites dans Family Life. Séquences qui (avec Kes) m'ont fait aimer Loach définitivement.

A la fin de Sweet Sixteen Liam, le jeune et turbulent héros du film, se retrouvait face à face avec l'océan. A quoi pense t'il en contemplant l'espace infini qui semble l'appeler

de tout ses voeux? Désir de fuite? Passer de l'autre coté?

Dans Route Irish l'évasion a bien eu lieu. Fergus et Frankie ont quitté cet Angleterre si durement traitée par le cinéaste car au fond elle est profondément aimée. Ils ont pris la route, hélas c'était la mauvaise, celle au nom symbolique si chère à Loach (le hasard fait bien les choses) qui ne mène qu'à la mort (Frankie est mort carbonisé sur la route Irish). Pas d'échappatoire, le film du cinéaste ne comporte plus aucun de ces moments de grâce qui m'était si précieux. Tout y est sans espoir à l'image de son héros hanté par un passé définitivement impardonnable (voir la fin du film).

Loach s'épanouissait bien souvent à filmer l'enfance ou l'adolescence, ce moment où la lutte pour exister bat son plein où il est encore tant de faire des choix, d'espérer. Dans Route Irish tout est trop adulte, l'enfance ne réapparait qu'à travers un flash back crasseux en super huit du personnage au début du film. Celui-ci et Frankie, l'ami disparu, chahutait sur le pont d'un ferry et se prenait à évoquer les lieux où ils pourraient s'enfuir: l'Inde, l'Australie... tout y passe pourvu que ce soit de l'autre coté du monde.

Mais ce n'est qu'un souvenir et dans le présent il ne reste plus que Fergus qui est parti et qui revient, la queue entre les jambes, seul, le visage fatigué et une bouteille d'alcool à la main pour enterrer son pote de toujours. Le ferry joue ainsi un rôle symbolique important c'est là que nous découvrons pour la première fois Fergus, perdu entre deux rives. N'ayant ni envie de revenir ni envie de repartir (il n'a trouvé que la guerre) il est alors coincé, fantôme errant (son appartement au mur trop blanc et au pièce trop vide il le hante.), sans point d'attache fixe (forcément il est sur l'eau).

Loach livre son film le plus noir, le plus désespérant (et, découlant de cela, à nos yeux le moins attachant et le moins attrayant). Route Irish fait penser à Armadillo, l'haletant documentaire de janus Metz, sorti il y'a quelques mois, sur de jeunes soldats danois partis combattre en Afghanistan. A la fin du film, après l'enfer et de retour au bercail, un des soldats prenait une douche à valeur purificatrice, se laver du trop plein de souvenirs poisseux et repartir... life goes on? Du coté de Loach rien n'est moins sur. La distance avec le reste du monde est insurmontable pour Fergus. Il essaye pourtant! Et au détour d'une séquence brille un mince espoir, il regarde la femme aimée de loin, hésite et finalement rebrousse chemin. Il n'y plus aucune place pour lui sur terre, reste alors la mer.

Alors rétrospectivement on en revient toujours à cette image de fin de Sweet Sixteen où plane -encore- le fantôme des 400 coups, soit Liam sur la plage, face à l'horizon. Et on se prend à s'interroger après avoir vu Route Irish: finalement à quoi rêvait il?

Peut être moins à ce qui se trouve derrière l'océan (Route Irish nous apprend qu'il ne s'y trouve rien de bon) qu'à l'océan lui même. Cesser de flotter, simple jouet des puissances imbattables, et enfin disparaître.

Pierre Andrieux

dimanche 13 mars 2011

True Grit Joel et Ethan Coen: Du "Duke" au "Dude"


Attendu avec impatience le dernier film des frères Coen ne déçoit pas. Après avoir longtemps tourné autour du pot en convoquant la syntaxe du western dans un certain nombre de leurs films (voir Sang pour sang ainsi qu' O'brother ou le chef d'oeuvre No Country for Old Men) le tandem est enfin passé à l'action pour notre plus grand plaisir (les westerns sont hélas rares ces temps-ci) avec l'adaptation du roman de Charles Portis, « True Grit », publié en 1968. La trame se base sur un thème classique du genre, la vengeance, et raconte la poursuite par une gamine (Mattie) du meurtrier de son père. Elle est assistée par un Marshall borgne(Jeff Bridges) et par un jeune et clinquant Texas Ranger (Matt Damon).

Ce qui est intéressant c'est bien sur d'aller voir tout d'abord du coté de la précédente adaptation du roman de Portis; soit Cent Dollars Pour un Shérif, réalisé par un grand cinéaste classique: Henry Hathaway. Le film d'Hathaway sortait à un moment de bascule dans l'histoire du cinéma Hollywoodien. Soit la fin de l'ére des studios et du classicisme, déjà mis à mal depuis les années 50 (voir les films de Kazan, Siegel, Aldrich, Peckinpah) et l'entrée dans la période qu'on appellera par la suite le Nouvel Hollywood (sorti d'Easy Rider de Hopper en 1969 et de Bonnie &Clyde d'Arthur Penn deux ans auparavant, deux films pris généralement comme références) qui durera jusqu'à l'aube des 70s et qui vit l'apparition sur le devant de la scène de nouvelles têtes, jeunes, ambitieuses et surtout talentueuses (les Scorsèse, Spielberg, Lucas, Depalma, Cimino, Altman, Pakula etc...).

Bref autant dire qu'avec Cent dollars pour un Shérif nous avions le chant du cygne du western classique. Un chant du cygne tout entier incarné à l'écran par un John Wayne à l'aube de sa carrière (62 ans au moment du rôle) et qui jouait le rôle de l'alcoolique et facilement porté sur la gâchette, mais néanmoins sympathique, Marshall Rooster Cogburn -le « Duke » remporta d'ailleurs pour son rôle le seul oscar de sa carrière.

Alors en comparant le film des Coen et celui d'Hathaway il est facile de percevoir toute l'évolution qu'a subie le western en quatre décennies. Soit une démythification quasi-totale du genre. Certes Hathaway mettait déjà en scène la fin d'une légende (John Wayne) et, à travers elle, c'était au Héros classique mythique que nous disions adieu une dernière fois. Mais son film restait tout entier baigné par l'atmosphère visuelle classique, il n'y a qu'à comparer les deux ouvertures des films pour s'en convaincre.

Dans celui d'Hathaway nous avons un plan général de jour du foyer des Ross sur lequel défile le générique puis, par trois raccords dans

l'axe, nous nous rapprochons progressivement du ranch et pénétrons par là même tranquillement dans le récit, au moment où le père de Mattie s'apprête à partir, accompagné de celui qui l'assassinera, Tom Chaney.

Le premier plan soumet au regard un univers calme, serein et ordonné. Des valeurs parfaitement classiques (postulat à l'éternité et à l'intemporalité de la vision) sont toutes entières contenues dans ce cadre mettant en avant la beauté de la composition picturale et fournissant une image d'Epinal de l'Amérique rurale, récurrente dans le classicisme(voir par exemple l'ouverture d'A travers l'orage 1920 de Griffith). Tout le classicisme repose sur la dialectique entre l'ordre et le chaos. Où comment ce dernier fait irruption au sein d'un univers normé, venant ainsi le mettre en crise, et appelant un retour à l'ordre que fournit généralement le Happy end (ironique ou non peu importe).

Maintenant prenons l'ouverture -magnifique- du film des frères Coen et voyons comment les motifs sont pervertis. Ce plan d'ouverture est un plan fixe du foyer des Ross, nous sommes de nuit, il neige et un cadavre (le père de Mattie) git par terre dans une marre de sang. Nous arrivons juste après l'assassinat. Les deux cinéastes ont repris le motif de la beauté de la composition picturale (le plan est en effet esthétiquement superbe, et il faut saluer triplement la photographie de Roger Deakins qui travaille avec les Coen Bros depuis Barton Fink) mais pour mettre en scène l'absurdité d'une mort anonyme. Absurdité car à ce degré du récit (c'est à dire degré zéro) le spectateur n'est pas censé savoir qui est ce personnage gisant au sol. Nous ne connaissons rien de lui (et ne connaitrons jamais rien), l'ouverture du film montre déjà une fin, celle ultime et unique de la mort.

Dans le western moderne le froid s'est abattu. Alors que, chez Hathaway, symboliquement c'est à la fin que la neige survient, au moment des adieux de Wayne/Cogburn et de Mattie...Et, une dernière fois, pour nous, pour lui, Wayne emballe son cheval et saute par dessus

une barrière pour s'éloigner dans le lointain, le mythe est éternel -tel cet image fixe finale du Duke saluant presque le spectateur et sur laquelle vient s'inscrire le "The End".

Dans le film des frères Coen la neige est très présente et cela dés ce plan d'ouverture sur cet univers crépusculaire magnifiquement inquiétant. Une image d'Epinal s'est faite remplacée par une autre: celle d'un homme gisant dans la boue dans une atmosphère suintant la mort et l'inéluctabilité absurde du destin (plus de schème de causalité, on crève c'est tout) qui pèsera alors sur le reste des personnages. Il n'y a plus vraiment de cause, plus vraiment de raison.

Dans True Grit, on erre beaucoup, on se sépare, on fait aussi des rencontres, toujours fugitives (et caucasses parfois comme avec ce médecin portant une peau d'ours) car il n'y a au final qu'UNE rencontre, celle là nullement fugitive, qui revient périodiquement assaillir les personnages et le spectateur et qui veut tout dire: celle de la Mort (le plan d'ouverture, les trois hommes exécutés au début du film, l'individu pendu en haut d'une branche par la suite, le mort au fond de la crevasse dans laquelle tombe Mattie et dont le ventre s'est transformé en nid de rattle snakes...).

Seule Mattie semble garante d'une certaine morale: elle veut ramener Chaney pour qu'il soit pendu. Mais dans le western tout le monde sait bien qu'il n'y a qu'une seule loi, celle du colt et Mattie, comme les autres ne se souciera guère des valeurs morales et de la Loi, pour abattre Chaney. Si la justice des hommes est inutile, reste alors la Loi divine. Mattie l'énonce dés le début du film: « Tout le monde doit payer pour ce qu'il fait », ainsi Cogburn est borgne, Laboeuf se mord la langue... Pas de traitement de faveur, et Mattie parce qu'elle a tuée doit, comme les autres, être punie (elle le sera directement après son acte en tombant dans la fosse au serpent).

True Grit est dans la lignée des westerns d'Eastwood ainsi que de ceux de Walter Hill et de la superbe série Deadwood (dont Hill réalise le pilote). Jeff Bridges (qui n'a rien à envié à John Wayne) est crasseux, puant, un looser fini (il vit dans l'arrière boutique d'un chinois au milieu, symboliquement, de cadavres de canards). Et la première fois que Mattie lui parle c'est alors qu'il est « sur le trône » (possible référence à Impitoyable où le Héros tuait avec difficulté un homme alors qu'il était au toilette?). Enfin autant dire que le mythe classique en prend un sacré coup d'autant plus que Bridges/Cogburn tout comme La Boeuf (Matt Damon) ne sont pas vraiment des as de la gâchette (voir la séquence très drôle où il font un concours de tir).

Mais le mythe fait quand même retour dans l'affrontement final entre Cogburn et les comparses de Chaney. L'individu peut s'élever au rang du héros mythique et reconquérir son statut légendaire, cela le temps de sauver la jeune Mattie dans une séquence formellement superbe avec un travail sur les fondus enchainés saisissant.

Puis reste la fin très belle et très fordienne du film (les références à Ford et particulièrement à La Prisonière du désert sont d'ailleurs nombreuses) où Mattie adulte se rend sur la tombe de Cogburn qu'elle n'a jamais revu. On voit là aussi toute la différence avec le film d'Hathaway qui se terminait aussi près d'une tombe, mais c'était celle du père de la jeune fille qui trouvait alors en Cogburn une seconde figure paternelle.

Le Cogburn des Coen n'aura jamais eu (ou si peu) ce rôle là. Il est mort dans l'anonymat, une mort absente de l'écran, qui a lieu en hors cadre. Cogburn est dorénavant un simple nom sur une tombe là où Wayne, on l'a dit, s'éloignait caracolant sur son cheval dans une vision mythique et éternelle. Il n'y a définitivement pas de figures mythiques chez les frères Coen, seulement des hommes dans toute leur faiblesse et leur petitesse notoire autant que dans leur grandeur fugitive, s'en est d'autant plus beau...

Pierre Andrieux


http://www.boosterblog.com

mardi 8 mars 2011

Paul


Clive Gollins : Agent Mulder was right!
Paul: Agent Mulder was my idea!

Les fans de comédies américaines autant que les passionnés de science fiction, ou devrais-je plutôt dire « geeks », attendaient avec impatience la sortie de Paul, ou comment deux britanniques fous d'O.V.N.I. se retrouvent propulsés dans une aventure invraisemblable mêlant les services secrets américains,et le plus cool des extra-terrestres!

Étant personnellement friand des deux genres, je dois dire que j'ai été gâté. Le film est réalisé par le très peu connu mais non moins prometteur Greg Mottola, réalisateur du déjà culte Superbad (2007) avec la bande Apatow et du petit bijou indépendant Adventureland (2009) dont vous trouverez la critique sur ce blog. Loin d'être un simple exécutant, Mottola maitrise avec brio l'art du genre et de ses hybridations. Même si Superbad arborait les parures reconnaissables des comédies Apatow et de la touche Seth Rogen, le film bifurquait sans arrêt vers la gravité et la mélancolie pour mieux rebondir. Adventureland, jusqu'à maintenant le film plus personnelle du cinéaste, opérait quand à lui d'une véritable poétique du teenage movie, une réelle réécriture du genre, plus sérieuse, composée de superbes moment de stase.


Avec Paul, Mottola s'est trouvé deux alliés de choix en la personne de Nick Frost et Simon Pegg. Les deux acteurs/scénaristes britanniques et leur réalisateur Edgar Wright ont fait leurs preuves en matière d'hybridation et de détournement de genre. Il n'y qu'à voir Shaun of the dead (réécriture comique du film de Zombie) et Hot Fuzz (réécriture comique du film d'action) pour s'en persuader. Collez donc ces deux énergumènes au scénario et devant la caméra, ajoutez Mottola derrière celle-ci, saupoudrez le tout d'une touche de Seth Rogen (voix off de Paul) et vous obtiendrez cette comédie de science fiction de haut vol, qui n'est autre qu'une véritable avalanche de citations et de référence à l'univers geek/SF et même au cinéma en général.


Mottola et Pegg/Frost ne se contentent pas ici de simplement citer le plus de films cultes possibles, mais de littéralement reproduire certaines figures formelles connus de tous et qui nous relies immédiatement à ce genre de films. Plus qu'une simple parodie, Paul est un message d'amour aux films de Cameron, Lucas, mais surtout Spielberg auquel le film rend hommage de la première à la dernière minute. Et croyez moi tout y est ! : Le martien attachant, la lumière rouge sous la porte, la montagne du diable, jusque dans la reprise même de certains plans, certaines couleurs et même certains mouvements ! Nos amis connaissent leur gamme par cœur et c'est sans effort qu'ils y insèrent leur humour atypique. Absolument tout fonctionne ! Du comique burlesque à la punch - line bien sentie, de la mise en scène spectaculaire à la satire religieuse. Tout ces thèmes et ses formes, en apparence hétérogènes, s'emboitent avec aisance grâce au talent de cette dream-team comique prometteuse.


Plus fort encore, au delà de la puissance comique du film, Paul parvient à nous toucher comme avait su le faire E.T. (1982) avant lui. Nous vivons avec les personnages la naissance de cette amitié incongrue entre un Alien et deux fans de comic books. On oublie vite les images de synthèse car il faut se rendre à l'évidence, ce Paul numérique est une réussite totale, à tel point qu'on jurerai pouvoir le toucher. On en vient à être jaloux de ces deux nerds ! Paul est l'ami le plus cool qui existe. Il vient de l'espace, il parle notre langue, il connait tout les savoirs du mondes et a influencé toute notre culture populaire (Spielberg lui demande des conseils pour réaliser E.T.), il fume des joints, aime se la coller...Croyez moi, après la séquence finale mêlant la bible transpercée d'Hitchcock, l'héroïne musclée de Cameron, l'interminable croiseur interstellaire de Lucas, et la soucoupe multicolore de Spielberg, vous serez bien triste de voir partir ce petit monstre...


Alors courez dans les salles avant qu'il ne décolle, et évitez la voix de Philippe Manœuvre en VF par respect pour les artistes.



mercredi 2 mars 2011

127 heures

Aron : "The minute I was born, every breath that I've taken, every action has been leading me to this crack on the out surface."

En décidant de mettre en scène l'histoire incroyable de Aron Ralston, aventurier acrobate se retrouvant coincé dans une étroite crevasse du grand Canyon, Boyle condamne son cinéma épileptique à l'immobilisme. Une contrainte astreignante mais nécessaire, qui sonne comme un exercice de style à la manière du très réussi Buried (2010), et qui lui permet de signer un film franchement réussi.

On peut reprocher beaucoup de choses à Danny Boyle, et à raison d'ailleurs. Créateur de formes clipesques parfois outrancières et adepte de sujets extrêmes, propice à de nombreuses maladresses, il n'en reste pas moins un cinéaste intéressant, au sens du rythme aigu, toujours à la recherche d'une forme populaire idéale.

Si aujourd'hui la mode est au sarcasme et à la froideur, j'affirme avec vigueur que l'humanisme et la naïveté sont des moteurs essentiels d'émerveillement et d'émotion directe au cinéma comme ailleurs. Encore faut il se laisser aller.
Il y a trois belles idées dans 127 heures, et même si parfois elle se mêlent a un océan de maladresses et de tiques typiquement Boylien, elles font malgré tout surface et s'affirment avec force, pour finalement porter le spectateur dans le courant du film.

127 heures prend la forme d'un cinéma de l'immersion physique. C'est une expérience viscérale, proche des corps (ici un seul). Si vous êtes familier avec les lignes de ce blog, vous savez surement qu'avec Black Swan, Le Discours d'un roi et même dans une moindre mesure avec Jewish Connection, que l'année 2011 sera immersive et subjective, ou ne sera pas.
Comme dans le film d'Aronovsky, la caméra fusionne ici littéralement avec le personnage, bloqué entre deux murs de roche par une grosse pierre inamovible. Elle n'a plus rien à d'autre à filmer que cette main, ces jambes, ce visage fatigué.
Comme une caméra de surveillance, elle enregistre le temps et la décrépitude aussi bien physique que mentale, à l'image de cette scène de dialogue schizophrène qui rappelle le monologue de Gollum dans le Seigneur des Anneaux : Les deux Tours(2002). L'image divise alors sa source, se faisant tour à tour objective (la caméra omnisciente de cinéma) ou alors intra-diégétique, c'est à dire à l'intérieur de la fiction (quand elle épouse le point de vue de la mini caméra DV de Aron).

Ce mise en scène immobilisée et pourtant gesticulante comme le personnage, le film nous l'avait très tôt annoncé. Boyle y déverse au début un déluge de Splitscreen verticaux douteux, faisant s'entrechoquer des images de foule en sur-mouvement car violemment accéléré. Trivialité du monde certes, mais surtout défouloir pour les yeux et le cinéaste avant un semi huit clos statique.

Boyle trouve pourtant son rythme en pratiquant un cinéma de l'épreuve physique et temporelle.
Il faut subir et encaisser pour espérer revoir la lumière du jour. Et cela marche! Plus particulièrement avec deux séquences poignantes. D'abord la douce mais éphémère chaleur du soleil qui vient quotidiennement réchauffer les pieds du héros. Puis par la violence contenue dans la séquence de découpage de bras au couteau suisse, où l'utilisation du son subjectif nous fait habilement souffrir avec lui. Pas de doutes, nous sommes avec Aron dans cette maudite crevasse.

La deuxième belle idée qui jalonne le film et s'incarne métaphoriquement dans ce roc de pierre indéboulonnable et pourtant insignifiant, c'est l'expérience de la matérialité du monde. Aron se retrouve ironiquement renvoyé à la petitesse de son enveloppe corporelle encombrante, à son humanité. Là encore cette idée renvoie à la mis en scène contrainte de Boyle, qui s'entête pourtant à cadrer les objets les plus insolites dans des angles physiquement impossible. On se retrouve alors dans le fond de la gourde D'Aron ou même dans son bras ! Sa mise en scène lutte contre la contrainte physique du monde, comme aimait le faire par instant Hitchcock, et trouve finalement sa libération dans les images mentales du héros, donc dans la subjectivité. Procédé peu original mais nécessaire car forcement empathique. Le corps est bloqué mais l'esprit est libre.

La troisième bonne idée n'est autre que James Franco. Acteur charmant au visage attendrissant. Son regard respire l'intelligence, sa diction nonchalante et sa voix nasillarde le rapproche plus du grand adolescent que de l'adulte. Il transcende le rôle avec aisance, sans excès ni fausse note, et participe grandement à l'attachement affectif du spectateur. Très bon choix de Casting, sans quoi les choix de mise en scène de Boyle tombent à l'eau.

127 heures est donc un film accessible, immédiat, viscéral dans ces meilleurs moments et inutilement tape à l'œil dans ces mauvais. Malgré ces 1H30, le film parvient à faire l'épreuve de la temporalité et le rythme dramatique progresse sans pause. Le ressort dramatique ne tient ici plus dans la peur ou non de la mort, mais plutôt dans cette interrogation un peu SAWesque: Jusqu'à quel point sommes nous capable de sacrifier notre corps pour survivre ? On en ressort certes secoué, mais aussi apaisé, dépaysé, étrangement serein.