vendredi 2 septembre 2011

Cow Boys vs Aliens Jon Favreau: Approche de la mythologie hollywoodienne


« Le religieux n'est rien d'autre que cet immense effort pour maintenir la paix. Le sacré c'est la violence, mais si le religieux adore la violence c'est toujours en tant qu'elle passe pour apporter la paix; le religieux est tout entier orienté vers la paix mais les moyens de cette paix ne sont jamais dénués de violence sacrificielle. » René Girard in Des Choses Cachées depuis la Fondation du Monde


Au départ il y'a ce titre d'une généralité surprenante: Cow Boys vs Aliens (titre original bien sur). Au cas où le spectateur moyen n'aurait pas été prévenu du spectacle auquel il va assister, force est de constater que ce titre lui dit tout sur le film à venir, nous y reviendrons.

Tout d'abord, et rétrospectivement, le film de Favreau apparaît dans toute sa splendeur comme un film sans personnalité aucune. Cela ne pourrait être que mon petit avis subjectif mais le but de cette article est de montrer -dans les grandes lignes, longueur restreinte oblige- en quoi cela fonde précisément son grand intérêt pour l'analyste.

Pour mettre les choses définitivement à plat Favreau est un faiseur, et celui qui irait chercher l'artiste génial derrière Cow Boys.... serait bien embêté mais, après tout, cela n'enlève pas au film un certain caractère réjouissant et en fait un sujet d'étude intéressant. Nous avons, au final, une production made in hollywood et made in Spielberg à mes yeux réussie -ce qui est, ne nous emballons pas, le minimum syndical requis selon moi pour une oeuvre hollywoodienne de type blockbuster (imaginons le désastre et l'ennui affligeant lorsque ce caractère réjouissant n'est même pas au rendez vous -voir Conan de Nielsen ou Green Lantern de Campbell pour s'en assurer-).

C'est en effet bien cette absence de personnalité plutôt flagrante qui va constituer l'intérêt de la critique. Le monde à l'envers direz vous! Il faut nuancer et affirmer qu'au contraire, le fait que le film soit totalement formaté génériquement, ce qui entraine l'effacement quasi-complet du cinéaste, va nous mettre en contact presque direct avec ce que nous pourrions appeler une certaine mythologie hollywoodienne pure.

On en revient à ce titre étrange, trois mots qui claquent et qui fournissent presque la recette du film. L'originalité possible de l'oeuvre est toute entière basée sur ce mélange impur, surprenant et mystérieux entre « Cow boys » et « Aliens » soit, en extrapolant basiquement, sur la conflagration de ce qui sont deux des plus grands genre du cinéma hollywoodien: le western et la SF.

Peut on imaginer plus antinomique que le western et la SF? Cela paraît peu probable, le western incarne le genre fondateur et mythique, aussi essentiel au cinéma hollywoodien que peut l'être le besoin d'eau à un assoiffé dans un désert. Analyser et comprendre le western et son évolution c'est faire le pas décisif pour comprendre le cinéma hollywoodien.

Si le western en tant que genre pur et fermé (soit un récit se déroulant au 19ème en Amérique) a presque disparu des écrans aujourd'hui (même si les sorties en ce moment de Blackthorn, ou de La Dernière Piste il y'a quelques mois, tendraient à prouver le contraire) ses thématiques, son esthétique, sa structure, et son organisation n'ont pas disparu pour la simple et bonne raison qu'elles infusent tout le cinéma hollywoodien en profondeur, qu'elles sont la matrice mythique inhérente à l'ensemble du cinéma hollywoodien.

L'analyse structuraliste de descendance Levi Straussienne à permis à certains analystes du western tel Jim Kitses de montrer à quel point le genre reposait, tel les mythes primitifs, sur des couples binaires d'oppositions et de corrélations ( est/ouest, sauvagerie/civilisation, nature/culture, individu/groupe etc...). La force de l'analyse structurale permet de dégager des schèmes retrouvables dans une très grande majorité des films. Sa faiblesse est qu'elle aurait tendance à s'enfermer elle même dans son domaine d'étude (le western et rien d'autre) et oublie -ou rechigne- à la confrontation de ses constats et de ses hypothèses face à l'immensité du cinéma hollywoodien s'étendant à ses cotés.

D'où l'apport à nos yeux essentiel d'un théoricien comme Jean Baptiste Thoret qui, en prolongeant les intuitions conceptuelles d'un Deleuze concernant le cinéma américain dans l'Image-Mouvement, fait surgir une véritable essence hollywoodienne incarnée selon lui par la triade que constitue les rapports entre énergie, action et violence.

Cette dernière incarne à nos yeux la clef de voute du cinéma américain. Etudier sa représentation et son traitement est nécessaire si l'on veut pouvoir envisager le repérage et la compréhension d'une mythologie hollywoodienne. D'où l'apport fondamental selon nous des études (anthropologique, philosophique, historique, sémiologique....) consacrés à des aspects religieux tels que les concepts de « mythe », de « sacré » et de « rituel » pour comprendre notre rapport à l'imagerie hollywoodienne et à sa manière de nous narrer des histoires.

Nous faisons, en prolongeant les hypothèses de Thoret et en nous appuyant sur les travaux à nos yeux fondamentaux de René Girard concernant la violence, de cette dernière la clef de voute du cinéma américain, du western le genre essentiel, et du duel qu'appelle la représentation filmique de la violence (« duel » est à prendre au sens large de rivalité, de confrontation entre des individus ou des groupes d'individus aussi bien que de rapports dialectiques de notions conceptuelles héritées d'une perspective d'étude religieuse, type chaos/cosmos, sacré/profane, ordre/désordre, mythique/tragique etc...), la structure matricielle fondatrice du cinéma hollywoodien.

Alors revenons à Favreau et à ce titre. Ce qui ferait presque du film du cinéaste l'objet d'analyse parfait est en effet tout entier contenu dans le titre lui même qui appelle immédiatement la structure duélique discutée ci-dessus, ce à plusieurs niveaux: un niveau extra-filmique d'abord avec un conflit entre les genres (le western vs la SF) et un niveau intra filmique plus classique que développera le récit à travers les relations entre personnages ou groupes de personnages.

La SF contrairement au western n'est pas du tout un genre fondateur. Si il se développe à travers des films de série B voir Z dans les fifties le genre va prendre une ampleur considérable à partir des seventies (cela d'une part grâce, entre autres, à Spielberg et Lucas et avant cela à Kubrick avec 2001 et d'autres part grâce à l'évolution technologique du cinéma: raffinement des effets spéciaux, entrée dans l'aire du numérique etc...) et celui-ci constitue aujourd'hui un chevron fondamental au succès constant, là où le western à l'inverse a été relégué au second plan.

Dans cette inversion et ce rapport entre les deux genres (l'un aurait presque remplacé l'autre?) se situe tout l'enjeu sous-jacent du film de Favreau. Cow Boys vs Aliens c'est avant tout la lutte pour la survie et l'affirmation du genre western face à son remplaçant affirmé qu'est la SF. Le final du film confirme totalement cela puisque s'unirons face à l'envahisseur absolument tous les éléments structuraux essentiels du Western: indiens, cow boys, bandits, enfants, vieux, jeunes, barman, shérif, etc... Tous se liguent face à l'envahisseur, face à l'Autre qui menace leur survie en tant que monde, en tant que structure organique. Cela quitte à mettre de coté leurs rivalités, leurs duels intra-générique habituels (cow boys vs indiens, bandits vs shérifs etc). L'ultime preuve réside dans le motif de la visite des Extraterrestres sur terre: l'or, motif fondamental du Western dont le dérivé, l'argent et sa représentation, sont un sujet fondateur et matriciel, au lien quasi-génétique avec la violence, du cinéma hollywoodien.

Ce qui se joue sur nos écrans c'est donc tout simplement le baroud d'honneur du Western, la lutte final du genre pour s'affirmer et regagner sa place voler par les inconnus venus du ciel. Réussir ou mourir... Cet enjeu aux conséquences extra-diégétique pèse en effet sur le film de tous son poids: du succès économique de ce dernier, qui est tout de même le gros blockbuster de cette fin d'été, dépend un retour possible en force du genre Western.

Pourtant les extraterrestres sont largement supérieures aux pauvres humains les combattants et, si l'on regarde bien (ATTENTION SPOILER), les seuls éléments permettant la victoire des humains sur les extraterrestres sont précisément des éléments extraterrestres: soit d'un coté le bracelet énigmatique imposé (on ne sait trop comment) au Héros joué par Daniel Craig et l'extraterrestre ayant pris forme humaine se sacrifiant à la fin du film pour faire exploser le vaisseau ennemi. La victoire est donc amère et elle ne doit pas grand chose aux éléments intra-génériques du Western. Nous en reparlerons.

Dans les faits le film de Favreau retourne complètement les structures duelles propre au genre et ramène au sein du western, genre pourtant propice à l'éclatement des rivalités et des couples d'oppositions, une cohésion sociale totale face au grand ennemi commun.

Schème qui est en fait précisément un élément fondateur du genre des films de SF ayant pour pitch l'invasion des aliens. Il n'y a qu'à voir la toute récente série, made in Spielberg elle aussi, Falling Skies pour s'en convaincre. L'Autre (le monstre, l'alien, la bête) est ce qui permet la soudure de la communauté. Dans Falling Skies, qu'ils soient prof d'histoire, ex militaire, adolescent, forçat en cavale et j'en passe ce qui les unit est bien la haine viscérale de la bête (haine peut être infondée car Falling Skies, excellente série dont il faudrait parler en détail, nous réserve à mon avis bien des surprises dans sa seconde saison et n'est pas avare en propos ambigüs). Haine qui cache la profonde peur de l'Autre car celui-ci est en apparence profondément dissemblable.

Cette peur du cinéma américain que cristallise la figure mythique de l'extraterrestre c'est certes à un niveau physique et superficiel la peur du différent, mais la monstruosité de la bête incarne en fait la peur fondamental américaine de la perte de l'individualité et précisément de la différence. La peur de l'indifférenciation. N'est ce pas, en effet, le propre de tous les Aliens des films de SF que de tous se ressembler? Dans le film de Favreau les humains sont enlevés par les Aliens et sont lobotomisés, leur regard à tous est perdu dans le vague et est d'un bleu surnaturel évoquant les chouettes lobotomisées du film de Snyder Le Royaume de Ga'oule, et dans Falling Skies les adolescents sont enlevés par les Aliens et sont eux aussi robotisés et transformés en esclave par la fixation d'un harnais organique à leur colonne vertébral.

C'est par ailleurs ce qu'explique très bien l'anthropologue René Girard au travers de la superbe phrase suivante: « La différence hors système terrifie parce qu'elle suggère la vérité du système, sa relativité, sa fragilité, sa mortalité.... Ce n'est pas l'autre nomos que l'on voie dans l'autre mais l'anomalie, ce n'est pas l'autre norme, mais l'anormalité. »

Alors paradoxalement pour combattre cette menace suprême qu'est l'indifférenciation il faudra aussi briser les différences, casser par exemple dans le film de Favreau le mythe, qui est établissement de la différence, de la rivalité indiens/cow boys. Il faudra faire perdre aux personnages westerniens ce qui fait leur sève, leur identité. Et tiens donc! Une identité, c'est précisément ce qui manque au héros du film qui se réveille en plein désert sans se souvenir de qui il est, dans une antépénultième variante du syndrome Jason Bourne.

Tous s'unir donc, quitte pour les personnages et le genre à perdre leurs passés et ce qui fait leurs substances dans le but de faire partir en fumée dans une scène devenue rituélique depuis la fin orgasmique d'Independance Day, le vaisseau Alien.Mais -et c'est là une des rares forces du film de Favreau qui en fait une oeuvre filmique supérieur à celles d'un Emmerich- ce vaisseau alien est précisément détruit, on l'a dit, par une figure extraterrestre ayant revêtu forme humaine et par l'aide du bracelet extraterrestre de Daniel Craig.

Contradiction à priori. Mais pour les lecteurs familiers de René Girard ceux ci reconnaîtront en fait ce qui constitue la force principale des structures mythiques primitives: la victime de la violence collective au sein du mythe est à la fois profondément haie et finit par être sacrifiée mais est par ailleurs sacralisée, divinisée par la communauté du fait même qu'elle est, aux yeux du primitif, un sacrifice fondateur et nécessaire au maintien et à la cohésion de la société.

Nous reconnaissons dans cette ambivalence paradoxale -le sacrifié à la fois comme victime haie et comme divinité vénérée- les deux figures extraterrestres apparaissant au sein du film de Favreau: soit les aliens en quête d'or (victime haie) et la figure sacrificielle extraterrestre ayant apparence d'une femme superbe et sacralisée par Favreau (elle apparaît comme proprement divine lorsqu'elle se relève des flammes) se sacrifiant pour faire exploser les aliens. Il fallait bien que toutes les formes d'altérité soient détruite, l'Autre ne pouvant atteindre le stade de divinité qu'après sa mort et sa destruction, son rejet de la communauté, permettant ainsi le maintien de la différence dans la résorbation de la crise qu'à vécu la société et le retour à la paix par le biais de la violence. A la fin du film Ford propose d'ailleurs à Craig de travailler pour lui mais celui-ci décline la proposition et s'éloigne au loin... Le western a survécu (précairement) et nous retournons aux bons vieux schèmes mythiques originaires, à la restauration des différences mises entre parenthèse le temps de la lutte et donc au retour à la normale, soit l'ordre initial.

Ce que laisse alors apparaître le film de Favreau (comme tant d'autres) c'est la richesse des liens entre cinéma hollywoodien et religieux (mythes, sacré, rituels), c'est la perpétuation et la survie au sein de notre société moderne pourtant profane de schèmes et de structures sacrés et mythiques millénaires remontant à l'homo-religiosus primitif et c'est la vivacité, la cohérence et la force des mythes que travaillent et développent en profondeur l'imagerie hollywoodienne appelant une étude profonde et globale.




Pierre Andrieux