mardi 7 juin 2011

X Men First Class (deuxième critique)


Professor Charles Xavier: [to Eric] A new species is being born. Help me guide it, shape it... lead it.

Plongé dès les premières minutes dans le camp de concentration d'Auschwitz, nous vivons avec le jeune Éric son traumatisme : le meurtre de sa mère. La colère devient essence de son pouvoir, et c'est donc guidé par la rage et la tristesse que cette écorché vif se dirige logiquement vers la vengeance.

Vaughn fait mourir la mère en arrière plan, dans le dos du garçon. Une séquence puissante, une énergie habilement contenue puis finalement libérée, X-Men First Class affirme d'emblée que la franchise doit enfin jouée à son vrai niveau.

Après l'impressionnant cocktail d'inventivité, de désinvolture et de subversion que fut Kick Ass, Matthew Vauhn s'attaque à la grande forme du blockbuster de super-héros premier degré, qu'il prend par les cornes avec une maetra qui rassure. Un grand metteur en scène s'affirme, et c'est le spectaculaire qui retrouve de sa vigueur après le très solide Thor.

Le thème de la mutation est enfin exploré dans sa pleine mesure afin de mettre en avant les dialectiques fondatrices qui font la richesse de X-men. La raison face au l'animalité, l'homme face à l'étranger qui n'est est pas un. C'est l'ignorance, l'acceptation de l'autre, le désir d'intégration et la recherche d'identité qui redeviennent enfin les moteurs narratifs de ce nouvelle opus. Le scénario se déploie avec délicatesse, patience, telle une stratégie guerrière savamment orchestrée vers un final attendue, la naissance de Magnéto, ou plutôt le devenir Magnéto car si naissance il y a, elle a déjà eu lieu dans ma première scène du film.

Vaughn ne se contente pas de faire progresser sa narration comme une vulgaire faiseur, l'entrecoupant ça et là de séquence pyrotechniques insipides. Chaque séquence du film est une occasion de faire naître des idées visuelles. Tandis que le cerveau assimile les données narratives, l'œil est séduit par les tentatives formelles du cinéaste qui ose, là où beaucoup se contente de suivre la feuille de route (Maudit sois-tu Rob Marshall pour cette affreux Pirates des Caraïbes 4).

Le jeu d'acteur est donc logiquement le premier bénéficiaire de cette attention généreuse porté à la construction des personnages. Moins de réactions codifiées, plus de liberté de jeu et on arrive rapidement à cette belle séquence au milieu du film où Charles Xavier teste les capacités d'Éric en le défiant de faire pivoter l'énorme radar parabolique situé à quelques centaines de mètres d'eux et surplombant la forêt. Le pouvoir télépathique de professeur X, plein d'assurance et de sérénité, équilibre la si puissante colère de Magnéto. Le souvenir de la mère ressurgit, mais transformé cette fois en une énergie positive que Vaughn, par un effet de surimpression, transforme en une image mentale partagé par les deux hommes. La séquence, pourtant si spectaculaire, est ramené à l'échelle intime. Une larme coule sur les joues des deux héros. L'alchimie est totale.

Le style plastique très audacieux de Vaughn, qui le poussait dans Kick Ass à penser des transitions fondues délirantes tout en mêlant les grands poncifs formelles de la culture populaire est ici non pas invisible mais subtilement dissimulé. Le réalisateur se permet tout de même une séquence montage en splitcreen (écran partagé) adéquate avec la période ou se déroule les évènements du film (la forme splitscreen se développe essentiellement à partir des années 1960), ainsi que quelques métaphores visuelles toujours étonnantes lors des transitions entre les séquences.

Mais gardons le meilleur pour la fin. Car en effet, le final de X-Men First Class est dantesque. Et là il faut bien avouer que Vaughn surprend. En revoyant Kick Ass et ses séquences d'actions nerveuses, sur-découpées tout en étant très habilement raccordées, on attendait du cinéaste un style plus contemporain, dans la continuité de son premier film et de ce que l'on peut voir depuis quelques années dans les salles. Et bien non. La séquence finale choisit l'économie de plans et la sidération pour éblouir le spectateur. Alors que les mutants prennent part à la crise des missiles de Cuba et tentent de stopper le conflit amorcé par Shaw (Kevin Bacon), la guerre nucléaire semble inéluctable. La séquence, elle, est aérienne. Les X-Men repèrent le sous marin de Shaw, et Magnéto, accroché à la roue atterrissage du jet, le soulève grâce à sa force mentale. Le sous marin émerge des eaux avant le léviter dans le ciel. A la manière de Spielberg ou Cameron, Vaughn nous offre une scène de pure contemplation, dans un rigoureux respect de ce que j'aime appeler : le sublime cinématographique. L'humain, au premier plan, est confronté au spectaculaire en arrière plan. Le spectaculaire c'est d'abord cette immense sous-marin, puis cette pluie de missiles téléguidés, dont les traînées de fumée strient le ciel bleu cubain. Maîtrise de l'espace, suspension du rythme de l'action puis reprise avec une course poursuite aérienne entre X-mens qui renverse les têtes. Le cadre respire, le spectateur est saisie. Vaughn fait de la crise historique des missiles de 62 une séquence fictionelle impressionnante, à titre personnel ma scène préféré depuis le début de l'année 2011, un point c'est tout.

Avec X-men first class et après Avatar et Thor, le blockbuster reprend peu à peu la forme qu'il devrait toujours avoir, entre équilibre du style classique ample et opératique, et du style moderne qui accélère la narration et creuse l'image grâce à une caméra cinétique (en mouvement). Le spectaculaire est une affaire sérieuse à ne pas laisser entre toutes les mains, celles des faiseurs et pire encore des financiers. Plus que jamais il faut des réalisateurs voyants (pour citer mon professeur Pierre Berthomieu) capable de magnifier les archétypes, de sentir l'espace grâce à un vrai regard de cinéaste. En cela le film de Matthew Vaughn était inespéré.





samedi 4 juin 2011

X Men First Class Matthew Vaughn : Xavier ou Magneto?


Dure, dure de s'attaquer à la mythologie X Men... après le déplorable X Men L'Affrontement final (2005) et le plutôt fade X Men origins Wolwerine (2009) une certaine appréhension était présente vis à vis de ce dernier opus se proposant de plonger aux origines de la franchise et de nous dévoiler les dessous de la rivalité Xavier/Magneto.


Ce qui venait tout de même contrebalancer cette appréhension était le retour du grand Bryan Singer, réalisateur des deux premiers films, cette fois à la production, et surtout la présence à la réalisation du génial Matthew Vaughn. Vaughn, dont c'est seulement le quatrième film, incarne selon nous, au même titre qu'un cinéaste comme Zach Snyder, dont il fut beaucoup question sur ce blog, une valeur sure qui parvient à faire briller d'une lueur d'espoir l'avenir du cinéma hollywoodien (les Spielberg and co commencent hélas à se faire vieux).

Le genre du film de super-héros n'était pas un terrain inconnu pour le cinéaste du génial Kick-Ass qui revisitait avec ce film les codes du genre et livrait une oeuvre délirante et jouissive. Avec Star Dust, son film précédent Kick Ass, c'était l'univers du conte et du merveilleux qui était cette fois sujet à un regard neuf. Bref, ce qui ressort de ces quelques lignes c'est que le cinéaste semble s'épanouir au sein de genre particulièrement codé et réglé et leur injecte une nouveauté, une fraicheur dans le ton comme dans les personnages (le Héros Vaughnien est définitivement le pré-adulte au grand coeur, un peu gauche et un peu looser sur les bords) particulièrement appréciable. Il y'a toujours chez Vaughn ce léger décalage, ce subtil second degré qui écarte ses films de la parodie débilitante et lourdingue et les préserve de la grandiloquence et du ridicule d'un parfois trop grand sérieux propre à ces films. On est toujours à la limite du Kitsch, du ridicule chez Vaughn et cela précisément car c'est bien ce que le cinéaste recherche consciemment. Il joue avec les clichés, les retourne, s'en amuse et porte au final un regard décomplexé mais jamais moqueur ou cruel sur ces univers fortement stéréotypés. Le Capitaine Shakespeare dans Star Dust en était l'exemple type.

Avec X Men qu'on se le dise d'emblée Vaughn, s'il ne rejette pas du tout l'humour (et tant mieux), laisse tout de même au vestiaire ses velléités satiriques. Le poids de la franchise est assumé avec sérieux (le coté Singer?) mais aussi avec légèreté et Vaughn livre tout simplement à nos yeux le meilleur film X Men. La patte du cinéaste se retrouve dans le goût pour les jeunes X Men débutants et maladroits devant se former et conquérir leurs statuts de véritables Héros (tel Tristan dans Star Dust ou Dave dans Kick-Ass). Le choix de James Mac Avoy (déjà vu dans le réjouissant Wanted Choisis ton Destin) pour incarner Xavier est particulièrement judicieux et l'acteur est parfaitement dans la lignée des Aaron Johnson (Kick-Ass) et Charlie Cox (Star Dust) avec leurs têtes de jeunes premiers naïfs et fragiles.

C'est bien cette naïveté des héros Vaughniens qui se doit d'être soulignée et marque un héritage classique à l'oeuvre chez le cinéaste. Dave, Tristan ou Xavier sont de pures chevaliers du bien. Leur moralité est irréprochable et tous le problème de films comme Kick Ass ou Star Dust est bien cette difficulté qu'ils ont d'agir et de trouver leur place au sein du monde dans lequel ils évoluent. A la fin de Star Dust Tristan devient roi du royaume merveilleux bordant notre monde quotidien et quitte donc définitivement ce dernier. L'anachronisme des personnages est flagrant, ils croient encore en des valeurs obsolètes. Avec X Men et la relation Xavier/Magneto on sera alors au coeur de ce problème. Soit deux héros complètement opposés: le vaughnien Xavier, le singerien Magneto ( la fascination, chez Singer, pour les figures du mal (les nazis surtout) ou les individus profondément ambivalents est particulièrement frappante: voir le culte Usual Suspects et Keyser Soze, Walkyrie, ou encore Un Elève doué et le personnage interprété par Ian McKellen, lui même interprète de Magneto dans les deux premiers X Men).

Notre empathie qui va autant (voir plus) du coté de Magneto que de Xavier, nous pousse à nous interroger: de quelle coté se situer: Xavier ou Magneto? Une séquence du film est particulièrement frappante et signifie parfaitement l'ambition du film de Vaughn. Les deux héros discutent tout en jouant leur sempiternel et symbolique partie d'échec, ils sont au pied du Memorial Lincoln de Washington apparaissant dans la profondeur de champ. Une aura sacrée est conférée au moment. La figure lincolnienne ancre l'instant du coté du classicisme et convoque les références cinéphiliques de Mr Smith au Sénat de Capra à JFK de Stone en passant par Vers sa Destinée de Ford.

Elle donne aussi au film de Vaughn le statut du récit mythique racontant, par définition, une histoire sacrée étant advenue au temps des commencements, c'est à dire narrant la naissance, la venue au monde de quelque chose. Le film de Vaughn a pleinement valeur de récit mythique car il met en scène la naissance des X Men et ses deux héros Xavier et Magneto incarnent en fait les deux faces d'une même pièce: celle de la figure matricielle lincolnienne à la fois destructrice/créatrice ( Lincoln est à l'origine de la guerre civile (destructeur) et de la naissance d'une nouvelle nation (créateur) et l'ambition de Magneto est bien d'assoir l'avènement des mutants (créateur) et d'annihiler la race humaine inférieure (destructeur)) et d'autre part préservatrice/exécutante ( Lincoln est l'incarnation de l'idéal démocratique américain et perpétue les grandes valeurs morales du pays (courage, altruisme, discernement) ce que représente parfaitement Xavier), en Lincoln les opposés se résorbent, et celui-ci incarne à lui seul la devise du grand sceau américain « E pluribus unum » (un à partir de plusieurs).

La représentation lincolnienne chez John Ford et D W Griffith a particulièrement joué à accentuer et à connoter ces aspects du personnage faisant de la figure historique, une véritable figure mythique. A partir d'elle c'est tout le Héros hollywoodien qui se construit et qui en découle, ce jusqu'à nos Xavier et Magneto. La bipolarité de la figure héroique (car Xavier autant que Magneto sont les Héros) est donc le grand intérêt du film de Vaughn et les deux acteurs, Fassbender et MacAvoy, sont superbement antinomiques et se complètent parfaitement.

Le seul « chichi » que l'on pourrait se permettre serait de regretter que Vaughn laisse légèrement son style de coté ce qui fait d'X Men First Class un film à la réalisation certes parfaite (la dimension épique et le spectaculaire fascinant n'ont rien à envier à X Men 2 et la très bonne lisibilité ainsi que la grande qualité des scènes d'actions sont à noter et sont dans la lignée de celles, superbes, de Kick Ass et Star Dust) mais sans grande prise de risque, voir sans grande personnalité si l'on voulait être méchant. Pour avoir revu Thor de Brannagh juste après la différence est immédiatement perceptible. Brannagh apporte clairement un style formel précis à son film là où cela s'avère plus difficile à discerner chez Vaughn.

Mais ne boudons pas notre plaisir. A l'heure de la prolifération effrayante des films, bons ou mauvais, de super-héros, X Men First Class se situe clairement dans le peloton de tête et va sans doute permettre à Vaughn d'être définitivement « bankable » sur la planète Hollywood. Ce qui, on s'en doute, ne peut que nous réjouir et laisse présager un bel avenir à ce cinéaste dont le nom est à retenir et les films à voir, si ce n'est pas déjà fait.

Pierre Andrieux