dimanche 13 mars 2011

True Grit Joel et Ethan Coen: Du "Duke" au "Dude"


Attendu avec impatience le dernier film des frères Coen ne déçoit pas. Après avoir longtemps tourné autour du pot en convoquant la syntaxe du western dans un certain nombre de leurs films (voir Sang pour sang ainsi qu' O'brother ou le chef d'oeuvre No Country for Old Men) le tandem est enfin passé à l'action pour notre plus grand plaisir (les westerns sont hélas rares ces temps-ci) avec l'adaptation du roman de Charles Portis, « True Grit », publié en 1968. La trame se base sur un thème classique du genre, la vengeance, et raconte la poursuite par une gamine (Mattie) du meurtrier de son père. Elle est assistée par un Marshall borgne(Jeff Bridges) et par un jeune et clinquant Texas Ranger (Matt Damon).

Ce qui est intéressant c'est bien sur d'aller voir tout d'abord du coté de la précédente adaptation du roman de Portis; soit Cent Dollars Pour un Shérif, réalisé par un grand cinéaste classique: Henry Hathaway. Le film d'Hathaway sortait à un moment de bascule dans l'histoire du cinéma Hollywoodien. Soit la fin de l'ére des studios et du classicisme, déjà mis à mal depuis les années 50 (voir les films de Kazan, Siegel, Aldrich, Peckinpah) et l'entrée dans la période qu'on appellera par la suite le Nouvel Hollywood (sorti d'Easy Rider de Hopper en 1969 et de Bonnie &Clyde d'Arthur Penn deux ans auparavant, deux films pris généralement comme références) qui durera jusqu'à l'aube des 70s et qui vit l'apparition sur le devant de la scène de nouvelles têtes, jeunes, ambitieuses et surtout talentueuses (les Scorsèse, Spielberg, Lucas, Depalma, Cimino, Altman, Pakula etc...).

Bref autant dire qu'avec Cent dollars pour un Shérif nous avions le chant du cygne du western classique. Un chant du cygne tout entier incarné à l'écran par un John Wayne à l'aube de sa carrière (62 ans au moment du rôle) et qui jouait le rôle de l'alcoolique et facilement porté sur la gâchette, mais néanmoins sympathique, Marshall Rooster Cogburn -le « Duke » remporta d'ailleurs pour son rôle le seul oscar de sa carrière.

Alors en comparant le film des Coen et celui d'Hathaway il est facile de percevoir toute l'évolution qu'a subie le western en quatre décennies. Soit une démythification quasi-totale du genre. Certes Hathaway mettait déjà en scène la fin d'une légende (John Wayne) et, à travers elle, c'était au Héros classique mythique que nous disions adieu une dernière fois. Mais son film restait tout entier baigné par l'atmosphère visuelle classique, il n'y a qu'à comparer les deux ouvertures des films pour s'en convaincre.

Dans celui d'Hathaway nous avons un plan général de jour du foyer des Ross sur lequel défile le générique puis, par trois raccords dans

l'axe, nous nous rapprochons progressivement du ranch et pénétrons par là même tranquillement dans le récit, au moment où le père de Mattie s'apprête à partir, accompagné de celui qui l'assassinera, Tom Chaney.

Le premier plan soumet au regard un univers calme, serein et ordonné. Des valeurs parfaitement classiques (postulat à l'éternité et à l'intemporalité de la vision) sont toutes entières contenues dans ce cadre mettant en avant la beauté de la composition picturale et fournissant une image d'Epinal de l'Amérique rurale, récurrente dans le classicisme(voir par exemple l'ouverture d'A travers l'orage 1920 de Griffith). Tout le classicisme repose sur la dialectique entre l'ordre et le chaos. Où comment ce dernier fait irruption au sein d'un univers normé, venant ainsi le mettre en crise, et appelant un retour à l'ordre que fournit généralement le Happy end (ironique ou non peu importe).

Maintenant prenons l'ouverture -magnifique- du film des frères Coen et voyons comment les motifs sont pervertis. Ce plan d'ouverture est un plan fixe du foyer des Ross, nous sommes de nuit, il neige et un cadavre (le père de Mattie) git par terre dans une marre de sang. Nous arrivons juste après l'assassinat. Les deux cinéastes ont repris le motif de la beauté de la composition picturale (le plan est en effet esthétiquement superbe, et il faut saluer triplement la photographie de Roger Deakins qui travaille avec les Coen Bros depuis Barton Fink) mais pour mettre en scène l'absurdité d'une mort anonyme. Absurdité car à ce degré du récit (c'est à dire degré zéro) le spectateur n'est pas censé savoir qui est ce personnage gisant au sol. Nous ne connaissons rien de lui (et ne connaitrons jamais rien), l'ouverture du film montre déjà une fin, celle ultime et unique de la mort.

Dans le western moderne le froid s'est abattu. Alors que, chez Hathaway, symboliquement c'est à la fin que la neige survient, au moment des adieux de Wayne/Cogburn et de Mattie...Et, une dernière fois, pour nous, pour lui, Wayne emballe son cheval et saute par dessus

une barrière pour s'éloigner dans le lointain, le mythe est éternel -tel cet image fixe finale du Duke saluant presque le spectateur et sur laquelle vient s'inscrire le "The End".

Dans le film des frères Coen la neige est très présente et cela dés ce plan d'ouverture sur cet univers crépusculaire magnifiquement inquiétant. Une image d'Epinal s'est faite remplacée par une autre: celle d'un homme gisant dans la boue dans une atmosphère suintant la mort et l'inéluctabilité absurde du destin (plus de schème de causalité, on crève c'est tout) qui pèsera alors sur le reste des personnages. Il n'y a plus vraiment de cause, plus vraiment de raison.

Dans True Grit, on erre beaucoup, on se sépare, on fait aussi des rencontres, toujours fugitives (et caucasses parfois comme avec ce médecin portant une peau d'ours) car il n'y a au final qu'UNE rencontre, celle là nullement fugitive, qui revient périodiquement assaillir les personnages et le spectateur et qui veut tout dire: celle de la Mort (le plan d'ouverture, les trois hommes exécutés au début du film, l'individu pendu en haut d'une branche par la suite, le mort au fond de la crevasse dans laquelle tombe Mattie et dont le ventre s'est transformé en nid de rattle snakes...).

Seule Mattie semble garante d'une certaine morale: elle veut ramener Chaney pour qu'il soit pendu. Mais dans le western tout le monde sait bien qu'il n'y a qu'une seule loi, celle du colt et Mattie, comme les autres ne se souciera guère des valeurs morales et de la Loi, pour abattre Chaney. Si la justice des hommes est inutile, reste alors la Loi divine. Mattie l'énonce dés le début du film: « Tout le monde doit payer pour ce qu'il fait », ainsi Cogburn est borgne, Laboeuf se mord la langue... Pas de traitement de faveur, et Mattie parce qu'elle a tuée doit, comme les autres, être punie (elle le sera directement après son acte en tombant dans la fosse au serpent).

True Grit est dans la lignée des westerns d'Eastwood ainsi que de ceux de Walter Hill et de la superbe série Deadwood (dont Hill réalise le pilote). Jeff Bridges (qui n'a rien à envié à John Wayne) est crasseux, puant, un looser fini (il vit dans l'arrière boutique d'un chinois au milieu, symboliquement, de cadavres de canards). Et la première fois que Mattie lui parle c'est alors qu'il est « sur le trône » (possible référence à Impitoyable où le Héros tuait avec difficulté un homme alors qu'il était au toilette?). Enfin autant dire que le mythe classique en prend un sacré coup d'autant plus que Bridges/Cogburn tout comme La Boeuf (Matt Damon) ne sont pas vraiment des as de la gâchette (voir la séquence très drôle où il font un concours de tir).

Mais le mythe fait quand même retour dans l'affrontement final entre Cogburn et les comparses de Chaney. L'individu peut s'élever au rang du héros mythique et reconquérir son statut légendaire, cela le temps de sauver la jeune Mattie dans une séquence formellement superbe avec un travail sur les fondus enchainés saisissant.

Puis reste la fin très belle et très fordienne du film (les références à Ford et particulièrement à La Prisonière du désert sont d'ailleurs nombreuses) où Mattie adulte se rend sur la tombe de Cogburn qu'elle n'a jamais revu. On voit là aussi toute la différence avec le film d'Hathaway qui se terminait aussi près d'une tombe, mais c'était celle du père de la jeune fille qui trouvait alors en Cogburn une seconde figure paternelle.

Le Cogburn des Coen n'aura jamais eu (ou si peu) ce rôle là. Il est mort dans l'anonymat, une mort absente de l'écran, qui a lieu en hors cadre. Cogburn est dorénavant un simple nom sur une tombe là où Wayne, on l'a dit, s'éloignait caracolant sur son cheval dans une vision mythique et éternelle. Il n'y a définitivement pas de figures mythiques chez les frères Coen, seulement des hommes dans toute leur faiblesse et leur petitesse notoire autant que dans leur grandeur fugitive, s'en est d'autant plus beau...

Pierre Andrieux

2 commentaires:

  1. La démythification du genre en devient presque une démythification de la dramaturgie elle-même lorsque l'on découvre que le personnage de Tom Chaney, mystérieux fantôme dont on ne sait rien mais que l'on pourchasse ardemment avec les personnages en fantasmant une figure diabolique, n'est en fait qu'un pauvre type qui ne véhicule rien, ne représente rien à part le prosaïsme de l'homme. Rien n'a été sauvé sur l'autel de l'absurdité de la vie, pas même la vengeance.

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