jeudi 9 décembre 2010

Monsters de Gareth Edwards

Critique de Pierre Andrieux


Premier long métrage du cinéaste Gareth Edwards, Monsters est un film surprenant, troublant, inattendu ainsi qu'une vraie réussite formelle.

Une sonde de la Nasa s'écrase sur terre, au Mexique plus précisément. A son bord une vie extraterrestre qui va se développer peu à peu et pousser les gouvernements mexicains et américains à mettre en quarantaine et condamner une partie du Mexique pour contenir l'invasion. Un no mans land se dresse entre les deux pays (fantasme réalisé de la lutte contre l'immigration?). Deux individus: Andrew et Samantha cherchent à regagner les USA et se voient obliger de traverser le territoire isolé...

En lisant ce script on pourrait s'attendre ( ce fut mon cas) à un petit film de SF classique et sympathique. Vous voyez le genre: des bestioles ragoutantes, des intrépides luttant contre l'envahisseur à coup de lance roquette, des scientifiques réfractaires, j'en passe et des meilleurs, tout cela avec profusion d'effets spéciaux magistraux et de scènes d'actions de haute volée...Or Monsters n'est rien de tout cela.

Le film se veut réflexif, intime, poétique, rejette l'action et lui préfère la ballade ainsi que la remise en question. Bref, un film d'auteur au paradis du blockbuster? C'est un peu cela.

La question de départ que le film pose est la suivante: qui sont vraiment les monstres dont ce titre nous parle?

On pense alors immédiatement à District 9 de Neil Blonkamp. Et effectivement le film d'Edwards se situe, à un premier niveau, dans la droite lignée de District 9 (mais il emprunte aussi à La Route de Hillcoat ou à Avatar). Les films de Blonkamp et Edwards mettent en crise le genre, le questionne, l'interroge. Ils ne se situent plus au moment de l'invasion, du premier contact qui tournait immédiatement à la confrontation et à la lutte pour la survie de l'espèce humaine, que remettait en question l'Alien. Combat qui permettait à la nation de se ressouder, de s'unifier (Independance Day). Bref l'Alien (tout comme le monstre) servait à la restructuration de la communauté à un niveau intime (réparer les fractures, remettre sur pied le foyer comme dans La Guerre des Mondes.) autant qu'à un niveau universel (unir les hommes contre l'envahisseur, les petites différences disparaissent, tous égaux, rachat de l'humanité voir Le Jour où la Terre s'arrêta...).

Mais dans District 9 et Monsters le récit débute alors que cela fait bien longtemps que les extraterrestres sont apparus. On arrive après la bataille (si bataille il y'a eu). La grande purge n'a jamais eu lieu. Rien n'a été ressouder, au contraire, encore plus de frontières, de murs, de barrières. On s'est accommodé tant bien que mal de l'Alien , on l'a assimilé, parqué, on tente de le réguler. Voilà les points communs entre les deux films. Pour le reste ils sont totalement différents, District 9 ne rechignait pas devant une bonne dose de spectaculaire et d'action made in Hollywood, chose que rejette le plus possible Monsters. Tous deux ont tout de même le mérite de soulever la question qui fait mal: Ne sommes nous pas les monstres de ce titre racoleur? C'est ce qu'induit le début de Monsters.

Un bon début devrait toujours être très significatif de l'ensemble du film et mériter la plus grande attention. On devrait pouvoir y retrouver déjà la plupart des discours que va tenir l'oeuvre, les thèmes qu'elle va aborder et questionner. Le début de Monsters est à ce titre un bon début de film. Nous sommes de nuit au coeur d'une patrouille de soldats américains et en point de vue quasi subjectif puisque l'on voit à travers une caméra située sur un casque de GI.

On a donc une vision inconfortable, peu précise, tremblotante, le parti pris est réaliste (tout le film est tourné essentiellement en caméra porté). Détail important un des soldats chantonne « La Chevauchée des Walkyries » de Wagner. Référence direct à Apocalypse Now et premier doute censé assaillir le spectateur: en effet dans le film de Coppola la musique de Wagner accompagne le raid meurtrier, barbare et ignoble des hélicoptères cramant à tout va. Plaisir jouissif de la destruction et du chaos par les « Dieux » américains du haut de leurs Olympes volantes.

Alors, ne serait on pas du coté des bad guy dans ce début de film? Un soupçon renforcé par la fin de cette séquence où a lieu l'affrontement de la patrouille avec une créature (un mélange de pieuvre et d'araignée). Est ordonné de lui balancer un missile. La caméra adopte le point de vue du missile allant s'écraser sur le monstre. Le moment de l'impact est alors remplacé par l'apparition du titre, ayant valeur de questionnement adressé aux spectateurs. Les monstres ne seraient ils pas les types balançant un missile au milieu d'une zone habitée et se foutant des dommages collatéraux plutôt que les extraterrestres dont on apprendra par la suite qu'ils sont inoffensifs si on ne les provoque pas?

Cette remise en question du statut de l'ennemi est présente tous le long du film et trouble le jugement du spectateur. Peu à peu se dessine les vrais monstres: les puissances armées, et aussi les médias (le héros, Andrew, est photographe, Edwards insiste entre autre sur le fait que celui ci est beaucoup mieux payé pour photographier des cadavres et des victimes ( aliens ou humains)).

L'armée -donc le gouvernement, et donc la nation- est dans la peur terrible de « l'autre », du différent, celui qui sortirait des normes. Il faut l'exclure, à défaut de l'exterminer.

Mais, « l'autre n'est jamais que la partie de soi que l'on a pas osé regarder en face » pour reprendre une expression de Thoret. Les monstres nous renvoient à nous même. Ils incarnent les valeurs refoulées de la société, ils mettent à jours ses béances et ses lacunes les plus profondes. Dans le film c'est notre rejet de la communication, notre égoisme, bref notre manque d'humanité qui nous est renvoyé en pleine face. Pas de communication entre nous, pas de contact, juste de l'interaction.

Une interaction symbolisée par la récurrence et l'importance de la télé dans le film. « Nous sommes dans un univers où il y'a de plus en plus d'information et de moins en moins de sens....L'information dévore ses propres contenus. Elle dévore la communication et le social » écrivait Jean Baudrillard. Les Mass-médias magnétisent, procurent le simulacre du social et de la communication. Ils se veulent relai de l'information, du message; ils ne sont qu'une finalité (« le médium est le message » proclamait Mac Luhan). Finalité où se perd l'individu magnétisé par l'écran et les images, auxquels il s'abandonne. Seul reste aujourd'hui des corps interagissant entre eux mais essentiellement seul et des images tournant en boucle sur des écrans de télé.

Séquence magnifique illustrant cela: les tentacules d'un des monstres pénètrent dans une station service au sein de laquelle est cachée Samantha. Elles fouinent et finissent par se connecter à la télévision diffusant -comme dans tous le film- des images des monstres. Elles semblent véritablement absorber le sens, le pomper. On comprend que les monstres sont doués de pensées. L'héroine cachée près de la télévision finit par débrancher celle ci. Dans cet acte se trouve cristallisé tous le mouvement du film. On pourrait dire à première vue que Samantha fait cela pour sauver sa peau, et éloigner les tentacules de la station. Soit, cela se tient mais peut être peut on avancer qu'avec cet acte symbolique c'est moins un acte de protection de soi qui s'opère qu'un acte de conservation de l'autre. Empêcher ces créatures de se laisser happer par le flux continu et insensé des informations (il y'en a tellement que la pauvre tentacule risquerait de rester un bon bout de temps collé à la télé.), préserver une forme de pureté chez cet autre. Supprimez enfin le grand ennemi: débrancher la télé! La vrai communication ne réside pas dedans. (la suite de la séquence que je tairais ici vient confirmer l'idée.)

Tous le film est renversé. On ne cherche plus à détruire l'autre mais à le préserver car on a compris que l'autre possédait encore ce que nous avons perdu (et c'est pour cela qu'il est pourchassé): une humanité, un sens.

Andrew et Samantha, en se coupant de la civilisation vont réapprendre à communiquer, ils vont apprendre ce qu'est aimer- et non pas désirer (le sexe comme interaction mais jamais comme pur échange: C'est le protagoniste qui, voulant coucher avec l'héroine mais recaler sur le pas de la porte, en choisit une autre- Interchangeabilité répugnante des corps).

Au contact d'abord symbolique de la nature, de la jungle ( le coté fable écologique du film) dans laquelle ont proliféré les créatures (ayant même fusionné avec elle, on sent l'influence d'Avatar), puis enfin grâce au spectacle sublime de la dernière séquence, auxquelles les deux héros assistent, ceux ci finissent par s'embrasser. Baiser pur et cri de liberté et d'amour qui a attendu les dernières secondes du film pour naitre. "L'autre" n'était pas ennemi, mais modèle.

Un instant seulement, une poignée de secondes; cela avant que les militaires ne les sépare et ne les emmène chacun d'un coté de l'écran. Retour à la civilisation. La notre, où il n'y a plus d'échange possible. Juste deux dernières phrases celles du film:

Andrew: C'est terminé.

Samantha: Je ne veux pas rentrer à la maison.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire