lundi 4 avril 2011

RANGO : WESTERN GECKO


"Oops, I did it again", Britney Spears

"Le cinéma aura atteint les dernières folies le jour où les reptiles deviendront des cow-boys", Dona Donovan

Publié par Thomas K.

Rango, un caméléon loser, se trouve propulsé dans le désert hostile et étouffant. De fil en aiguille, de quiproquos en mensonges, il se retrouve propulsé au rang de Shérif d'une petite ville où l'eau se raréfie dangereusement...

Rango est un western. Enfin, une sorte de western. Il en reprend en tous cas les ingrédients principaux : chevauchées (presque) fantastiques, duels au soleil, etc...pour réadapter les codes du genre à la sauce animalière, façon Fievel au Far West ou Oddworld : la fureur de l'étranger.
Un sage tatou, un serpent flingueur, un maire tordu - pardon, tortue - , la faune des terres arides devient le théâtre crépusculaire d'un monde en voie de disparition, celui des cow-boys animaux (le monde des cow-boys humains a déjà disparu, depuis l'avènement d'Impitoyable, même s'il a ressuscité le temps d'un éclat coenesque avec True Grit). Décalage, donc, temporel et comique, car le film ne se contente pas de faire revivre le western à sa manière ; il est drôle, bien écrit, saupoudré d'aventure, imbibé de détournements, mais de savants détournements. Et puis l'animation est irréprochable techniquement parlant. Esthétiquement, c'est assez osé, pas forcément ragoûtant, voire même le contraire. Mais on s'attache à ces petites bêtes, au design prononcé et assumé.

Ce qui fait la grande force du film, c'est sa figure centrale, Rango le caméléon, raconteur de bobards comme pas deux, pétochard qui joue au héros.
Rango fait écho au simpsonesque "I didn't do it" prononcé par Bart Simpson lors d'une destruction de plateau télé (celui de Krusty) burlesque dans la lignée de Jerry Lewis et qui propulse le gamin sous les feux de la rampe. Le caméléon mythomane fait le chemin inverse : "Sure I did it". Dans les deux cas ce sont des mensonges. Rango renvoie à ces personnages de héros dont le seul pouvoir est celui de la parole, ces anti-héros campés par des figures comme Groucho Marx, Woody Allen, Georges Costanza (interprété par Jason Alexander dans la série Seinfeld), menteurs effrontés qui se font souvent passer pour ce qu'ils ne sont pas (rappelez-vous la première scène de Groucho des Marx au grand magasin, les tentatives de séduction de Allen dans Tombe les filles et tais-toi ou Take the money and run, les innombrables mensonges de Costanza dans Seinfeld, pour ne citer qu'eux). Comme eux, Rango est un imposteur.

Mais il parvient à tromper son monde dans l'exercice cartoonesque du ''pas fait exprès". On pense à Harold Lloyd dans Billy Blazes, où l'acteur burlesque interprète un cow-boy à l'apparence chétive mais qui manie les armes (et son propre corps) avec une efficacité redoutable. Encore une fois, Rango fait le chemin inverse : il prétend être fort et se vante d'exploits qu'il a accompli (ou non) sans le vouloir. Depuis Lloyd jusqu'au caméléon, subsiste une forme de comique du corporel. Mais le comique chez Lloyd venait du fait que le héros paraissait faible mais était en réalité fort ; avec Rango, le héros veut paraître fort mais est en réalité faible. Le héros moderne inverse les valeurs.

C'est que Rango tisse sa narration sur un problème d'ordre psychologique : construire son identité. Le caméléon nous apparaît presque comme fou dans la première séquence du film, parlant tout seul, interprétant divers rôles, encagé dans son petit monde de verre comme dans une cellule d'isolement psychiatrique. Tout le mensonge de Rango se base sur le fait que c'est un caméléon qui a une certaine culture artistique (j'aurais jamais cru écrire ça un jour dans une critique). Comme Britt dans le récent Green Hornet, le héros construit son identité en fonction de codes héroïques conventionnés qui imprègnent la culture moderne. On existe puisqu'on "fait comme". Rango opère un choix : le choix de qui être, comment agir ; il va jusqu'à choisir son nom. La persona se définit alors par le discours dans un premier temps, puis par les actes qui accompagnent le discours dans un second. Chez Rango, le discours est un simulacre, l'acte est un concours de circonstances. Sophiste, galvanisateur des foules, chanceux, Rango est avant tout un acteur. On le voit bien dans la scène délectable dans le saloon où il raconte (invente) la mort des frères Jenkins.

Qui dit imposteur dit héros immoral. Le cadre s'y prête bien ; ce qui compte, dans le désert, c'est la survie. Le film a une tendance "chacun pour sa peau", comme lorsque Rango fuit l'aigle menaçant, la première fois, laissant sur le carreau, par pure lâcheté, un batracien il est vrai peu sympathique.
Mais la morale est sauve puisque ce sont finalement les actes de rédemption et la force de la volonté qui viennent redéfinir la personnalité du héros. On avait presque oublié que le film s'adressait aussi aux enfants. La fin n'est pas convenue, elle est attendue, un peu paresseuse. Clair qu'on est pas chez Shyamalan, mais bon on sait un peu ce qui nous attend en terme de terminaison dramaturgique lorsqu'on achète note ticket, c'est un pacte implicite.

Le film se permet tout de même des incursions poétiques assez étonnantes, parfois difficiles à justifier dramaturgiquement, mais efficaces et bienvenues, comme une séquence onirique surréaliste qui renvoie de manière absurde (dans le sens noble du terme) à la séquence onirique à décoder de La maison du Docteur Edwards d'Hitchcock -séquence freudienne supervisée par Dali ; dans Rango la science freudienne d'interprétation des rêves se heurte à....un gigantesque poisson rouge en plastique (celui qui se trouvait dans la cage initiale). Un étudiant en psycho pour m'expliquer ça ?
La marche mélancolique des cactus renvoie quant à elle à une forme de mythe panthéiste qui rappelle fortement l'œuvre filmique de Myazaki (merci à Miss Z. d'avoir relevé cette analogie pertinente). Rango est drôle, mais aussi poétique. Le film s'offre parfois quelques baisses de régimes discutables, en jouant sur la variation du rythme, pour creuser le trouble existentiel de son personnage reptile. La mélancolie du désert plane sur la trajectoire du héros.
On en vient à atteindre une révélation mystique (le Jim Morrison d'Oliver Stone transcendé par le désert et la drogue n'est pas loin) qui se paye le luxe de faire intervenir une figure emblématique du western défigurée par la ré-appropriation comique de la dynamique de doublure en décalage avec le modèle.

Mais la plupart du temps, Rango fait dans le non-stop. Le film est parcouru par un mouvement de fuite en avant typique de la frénésie cartoonesque, infiltré par de spasmodiques instants d'immobilité, à l'image de la lizard-girl qui souffre de paralysies chroniques intempestives. Cela se caractérise à l'image par des voltiges caméléoniennes de voitures en voitures (séquence de maltraitance corporelle jouissive de par la rapidité d'accomplissement de l'action) qui marquent un temps mort le temps de décoller Rango d'un pare-brise, une course-poursuite avec un aigle dénivelée en plusieurs temps d'action, l'échappée sauvage en carriole dans le canyon, entrecoupée d'une scène avec Rango en apesanteur qui vit littéralement son rêve de comédie musical le temps d'un décalage musical (peut-être LE moment drôle du film). Bref, l'action dans Rango vient bringuebaler le corps, lui faire éprouver l'espace, le confronter à ses propres limites ; tout ce qui fait la recette de l'action comique. La dynamique mouvement-frénétique/pause/mouvement-frénétique qui compose le rythme du film dénote la volonté de jouer avec les suspends, pour mieux appuyer la densité spectaculaire des scènes d' "action".

Le film est truffé de petites références, plus ou moins attendues, jusqu'à une exploration souterraine qui renvoie à la figure d'Indiana Jones. On est dans un western d'aventure animalier. Rien que ça. Il n'empêche que les jeux avec les codes du western sont toujours efficaces, suscités la plupart du temps par la volonté de Rango de se conformer aux grandes figures du genre (sans y arriver) ; après tout il n'est pas un caméléon pour rien. Il figure le concept même d'acteur par la race de reptile qu'il représente. Le film lui-même se fait caméléon du genre en le copiant et en assumant à fond son rôle de doublure. On a un méta-personnage, un personnage qui représente et réfléchit sur le concept même de personnage, dans un film camouflage qui renferme une hybridation poético-aventuro-westernienne. Bon ça sonne un peu pompeux, mais vous avez saisi l'idée (pas vrai ?).

Comme le personnage échappe au déterminisme des chansons des hiboux mexicains qui le condamnent durant tout le récit (puissance de construire son identité, donc sa destinée), le film échappe à nos à priori pour figurer parmi les meilleures productions de films d'animation, au moins depuis le superbe Là-haut. Gore Verbinski aime faire de Johnny Depp (qui prête sa voix au caméléon) un personnage de grand imposteur (il l'était déjà dans Pirate des Caraïbes, du même réalisateur), pour, dans ce cas, notre plus grand et malin plaisir de spectateur. Si on considère en plus le message écologique que le film véhicule (amenuisement des ressources naturelles nécessaires à la vie - ici l'eau - à cause des volontés de puissance d'individus peu scrupuleux), tout est là. Que demande le peuple ? Rango ! Il n'y a qu'à écouter la chanson du générique de fin pour s'en persuader.

++

Thomas K.

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