vendredi 21 janvier 2011

Harry Brown de Daniel Barber ou L'ultime retour du Vigilante


Ecrire sur Harry Brown présente quelques difficultés. La principale nait du fait que le film se place dans l'apparente continuité d'un genre bien connu: les « Vigilante movies » nés dans les années 70 et dont les deux oeuvres les plus célèbres sont Dirty Harry (L'Inspecteur Harry de Don Siegel 1971) et Death Wish (Un Justicier dans la Ville 1973) de Michael Winner. Le Vigilante est l'individu adepte de l'auto justice punitive et expéditive. Ce passage à l'acte trouve matière à s'actualiser on s'en doute lorsque les lois ne sont plus garantes du maintien de la sécurité de la communauté.

On a bien souvent taxé les films de Winner et Siegel comme étant profondément conservateur et réactionnaire. Il faut replacer les films dans leur contexte. A ce grand trouble que furent les décennies 60 et 70 aux USA (émergence de la contre culture, apparition de la violence à l'image, libération des moeurs etc) venait répondre le justicier solitaire, type Harry Callahan (Clint Eastwood) ou Paul Kersey (Charles Bronson). Porte parole de la majorité silencieuse ils incarnaient son prétendu ras le bol profond face à la montée en flèche de la violence dans ce monde en perte de repères et réagissaient face à l'incapacité des forces de l'ordre et des garants de la justice. Qu'on se remémore l'image célèbre d'Harry/ Eastwood qui dépité et écoeuré balançait son étoile d'inspecteur à la flotte à la fin du film de Siegel.

Bref, difficulté donc car le genre a été longuement commenté et analysé et cela brillamment. Que dire de plus qui n'ait pas déjà été dit? Cela devient aussi difficile de ne pas s'égarer dans les lieux communs du questionnement propre à ce genre de film. Je veux parler de la question morale archi ressassée qu'ils soulèvent: En pratiquant cette justice punitive l'individu n'en vient il pas à se placer justement du coté de ceux qu'il traque? Ainsi l'inspecteur Harry était constamment associé au meurtrier qu'il pourchassait par la mise en scène de Siegel. Bref la loi du Talion est elle moralement acceptable et justifiable par nous spectateur?

Chacun ira de son petit argument, peu importe. Le débat est sans fin. Et il devrait même prendre en considération l'essence du cinéma hollywoodien puisque les « vigilante movies » trouve leur origine dans le western, films où la loi du plus fort est reine (voir à ce sujet L'Homme qui tua Liberty Valance de Ford, film parangon sur cette question). Hollywood a toujours aimé les individualistes plein de méfiance envers le système et préférant régler leurs comptes eux même c'est un fait.

Alors où se situe Harry Brown par rapport à ce lourd et pesant héritage?
Tout d'abord, autant le dire, la filiation avec la tradition est évidente. Ne serait ce que par le choix de l'expérimenté est toujours excellent Michael Caine pour incarner Harry Brown. L'acteur est dans la droite lignée des Eastwood et des Bronson. Regard fort et déterminé, visage marqué, quasi impassible...

Mais là où Eastwood et Bronson étaient, au sein des deux films cités ci-dessus, dans la force de l'âge, au mieux de leur forme, Caine/ Brown est un corps usé, fatigué, en inadéquation total avec le monde qui l'entoure. Et du coup on irait flirter du coté de ce bon vieux Eastwood et de son magistral et récent Gran Torino. Le film d'Eastwood s'apparentait à un vigilante movie mais le coup de force génial du maitre était d'inverser totalement les valeurs du genre. Ce n'était plus le « punk » ou le délinquant qui se faisait laminer à coup de 357 Magnum mais bien le héros, qui passait de la figure de justicier à celle du sacrifié sur l'autel de la justice dans un ultime soubresaut expiatoire. Tout s'inversait car le monde dans lequel il évoluait s'était inversé.

Dans Dirty Harry le serial killer Scorpio s'apparentait à un individu en dehors des normes. Le mal menaçait l'équilibre de la société. Aux grands maux les grands remèdes. Seul un Harry Callahan flirtant sur la corde raide séparant le bien du mal pouvait nous rapporter la paix. Mais que faire quand le mal n'est plus extérieur au monde mais est devenu sa composante essentielle? L'invasion s'est étendu et d'un individu esseulé(Scorpio) nous sommes arrivé aux groupes d'individus, le gang. Tel est la situation de Gran Torino et d'Harry Brown dont on peut situer une lointaine origine chez Martin Scorsese et son Taxi Driver ainsi que de manière plus significative dans Un Justicier dans la Ville. Travis Bickle tout comme Harry Brown était un ex soldat. Tout comme lui il constatait impuissant et passif la gangrène du mal ronger son monde (Voir le nombre de fois où Brown regarde incrédule agressions et autres méfaits se produire sous ses yeux.).

Mais, contrairement à Brown, Travis était aussi et surtout un névrosé, dont le délire psychotique et paranoiaque allait en augmentant jusqu'au bain de sang final. La violence il la fantasmait presque de son taxi. Cela tout comme le Paul Kinsley du film de Winner qui substituait « à la réalité objective une réalité subjective fondée sur une vision délirante et binaire de la société » pour citer J B Thoret à propos du film. Le délire paranoiaque envahissait le personnage et altérait sa perception du monde.

Rien de cela dans le film de Barber. Nul délire de névrosé. La violence se veut objectivée. Elle préexiste même sur l'écran à l'apparition du héros. Cela dans une ouverture saisissante. Barber choisit de montrer les méfaits des jeunes de la cité assassinant une mère de famille pour le plaisir. Le parti pris est ultra réaliste et c'est dans la qualité de prise de vue d'un téléphone portable qu'est filmé ce début.
La caméra tourbillonne, l'image est dégueulasse, la résolution faible. La violence n'est pas issu de l'esprit dérangé de Caine mais est la donnée essentielle du monde que l'on perçoit nous dit Barber. L'esthétique de l'image dans cet ouverture se pose en effet comme reflet de celui-ci. Un monde où le statut du cadre n'est plus assuré, où l'on frise le chaos car il est tombé (le cadre donc le monde) entre les mains d'une bande de drogués dégénérés et avides d'émotions fortes qui font la loi.
C'est un fait, dans le film de Barber l'univers est presque celui d'un film post apocalyptique. La photographie de Martin Ruhe est par ailleurs magnifiquement glauque.

Le mal est partout à l'horizon. Nul échappatoire pour le retraité qu'est Brown. Fini de fermer les yeux, il lui faudra agir (séquence ahurissante où il part se fournir des armes.). Mais pas dans l'espoir d'un rétablissement de l'ordre du monde, juste pour pouvoir crever en paix, seul mais tranquillement. Le pseudo happy end et les images d'Epinal l'accompagnant, aux allures de réchauffées, ne changent pour moi en rien cela.

Gros changement donc que ce sentiment de pessimisme total que dégage le film. Il n'y a plus rien à sauvé. Il n'y a plus qu'à apprendre à mourir. Ce qu'avait parfaitement compris le héros de Gran Torino qui jouait, soit dit en passant, sur la paranoia de ses ennemis pour entrainer sa mort. Ultime renversement, ce n'était plus le héros qui était sujet à la paranoia démentielle (Paul Kinsley, Travis Bickle) mais ses adversaires.

Pour Caine/ Brown la vengeance prime et justifie ses actes. Il possède une cause contrairement à ceux qu'il affronte: « eux font ca pour le plaisir. » dit il. Mais à la fin tout semble se mélanger, se confondre dans une explosion générale et surréaliste de violence aux allures de fin du monde (qu'on se remémore la crise des banlieues pas si éloigné de nous).

Harry Brown ne peut alors plus, ne doit alors plus être perçu comme le garant ultime de la morale et de la justice, son dernier rempart (soit Harry Callahan), il est seulement et tristement l'ultime preuve qu'il n'y a plus ni morale, ni justice.

Pierre Andrieux

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