dimanche 23 janvier 2011

Poupoupidou : le Purgatoire immaculé



''Je m'en irai dormir dans le Paradis Blanc'', Michel Berger.

''If Man is 5, then the Devil is 6, and if the devil is 6, then God is 7'', Black Francis

Publié par Thomas K.

David Rousseau, auteur de polars en manque d'inspiration, trouve dans la mort d'une starlette locale de Franche-Comptée un sujet pour son prochain roman.

Une très belle histoire. Tragique, touchante. Une véritable histoire d'amour. Pas l'amour trop facile, trop clinquant, qu'on trouve dans les comédies romantiques, ni celui trop sale, trop dégueulasse, qu'on nous jette à la figure dans les drames. L'Amour du ''tant pis'', l'Amour du ''dommage'', du ''si seulement''. Poupoupidou, c'est l'histoire d'un retard, d'un trop tard, d'un rendez-vous manqué, d'une évidence qui attendra les dernières secondes pour être prononcée. La fin est magnifique.

David est rapidement ensorcelé (''I put a spell on you'') par celle dont il cherche à élucider la mort. Il parcourt les terres enneigées et désertiques pour rechercher la vérité ; il court après un fantôme, il poursuit le souvenir de la belle Candice Lecœur, sa trace, jusqu'à se plonger dans la lecture des journaux intimes de Martine, véritable nom de la starlette dédoublée, écartelée entre sa vraie personne et sa persona médiatique. Candice est le corps, l'arme pour être aimée. Martine, incarnée seulement dans ses carnets, est l'esprit. On apprendra à s'attacher aux deux. Le spectacle du corps contre l'exhibition de l'esprit.
Chaque personnage rêve d'en être un autre : David voudrait être James Ellroy, Candice veut être Maryline, le gendarme Bruno voudrait être un agent du FBI. Chacun rêve trop grand. Les personnages sont liés dans leur propension à se créer un double (''l'inspecteur Voltaire'' par exemple, héros des romans de David). Candice, le corps médiatique, celle qui "appartient à tout le monde", devient la figure, l'emblème de ceux qui rêvent à être plus que ce qu'ils sont.

Sophie Quotin et Jean-Paul Rouve portent le film avec une sensibilité, une fragilité, une tendresse palpable dans chaque image où ils apparaissent. Les seconds rôles sont également brillamment interprétés. Aucune erreur de casting, jusqu'à la coiffeuse interprétée par la décidément très douée Joséphine de Meaux. La voix écorchée, douce de Candice qui nous vient d'outre-tombe est comme un chuchotement mélancolique qui a la force du prosaïsme et la langueur du lyrisme perdu, ou jamais trouvé. Les lignes de voix off sont un tour de force littéraire.

L'insistance sur le décor naturel enneigé appuie une impression étrange d'un ailleurs, d'un au-delà. Comme un gigantesque tombeau, celui de Candice/Martine. Le visage de Rouve contre l'infinité immaculée. Un paradis, non plutôt un enfer blanc. Un purgatoire où se révèle la vérité de l'être. Un lieu de l'infini qui paradoxalement se révèle enfermant ; Candice n'arrivera pas à le quitter, et finira même rendue à la neige. La monotonie du paysage donne l'impression qu'on fait du surplace, on est dans un système finit, fermé, qui fonctionne en autarcie. Le no man's land dans lequel est retrouvée le corps de Candice renvoie à l'idée de son retour à la Nature (un no man's land est une terre qui n'appartient à aucune société humaine), et ainsi dans chaque image de neige se surimprime la blondeur de sa chevelure, la pureté de son innocence tragique.

Mouthe, la ville la plus froide de France, semble fonctionner sur un mode hibernatoire. Pas de chauffage dans la chambre d'hôtel, la neige qui vient recouvrir la voiture pour empêcher David d'avancer...le lieu est englobant. Voire la scène où David est en route pour Mouthe, et qu'à peine passé le panneau de bienvenue, la radio se brouille. Il fait marche arrière de quelques mètres, la radio revient. Cette scène définit un passage-frontière. Mouthe, ville des glaces, fait office "d'ailleurs". Un lieu pour se rendre compte que l'on ne sera rien de plus que ce que l'on est déjà.

Le film est lent mais jamais ennuyeux. La trame tient en haleine jusqu'au bout. Toutes les scènes avec Sophie Quotin sont d'une sensibilité bouleversante, les flash-back détiennent une force tragique et mélancolique. Je vous préviens, on ne sort pas indemne de ce film. A moins d'avoir perdu à jamais sa capacité à ressentir, tout simplement. La justesse et l'attention portée aux personnages secondaires y sont pour beaucoup. La réceptionniste de l'hôtel très nature, le gendarme qui épaulera David dans son enquête ; ils participent de cette intensité humaine qui fait vibrer le film.

Le filmage se veut à la fois proche de ses personnages et contemplatif pour un désert blanc qui renvoie à la vacuité et la contingence humaine. Le film véhicule ainsi l'idée qu'une vie se construit sur la propension à se connecter avec les autres, la capacité à être aimé. Une rencontre peut tout changer, c'est celle qui n'aura jamais lieu dans le film.

Poupoupidou, c'est aussi un film sur un mystère. Celui de la mort de Candice, bien sûr, mais aussi celui de la question de la réincarnation, des destins déterminés. Candice croit être la réincarnation de Maryline Monroe, et le cours des évènements pose la question d'un blocage psychologique ou d'un véritable déterminisme ; après tout beaucoup d'éléments s'agencent pour lier Candice et Maryline, et même Candice et David. Comme si toute cette histoire tendait vers les dernières secondes de voix off du film. Mais le plus grand mystère, pour le spectateur qui a l'œil attentif, reste celui du chiffre 5...chiffre de la mort ? (Monroe est morte un 5 aout) La trace du souvenir de Candice qui hante David ?

Poupoupidou est également bourré de références, plus ou moins directes. La découverte du corps de Candice rappelle fortement celui de Laura Palmer dans la série Twin Peaks ; l'histoire elle-même renvoie à la série, avec la petite ville de Mouthe entourée de grands arbres alpins,fermée sur elle-même, et qui renferme des secrets...le gendarme Bruno mène son enquête en suivant un manuel du FBI. Dale Cooper n'est pas si loin. On sourit aussi avec la référence directe à Fellini, lorsque les gendarmes doivent descendre un homme perché ans un arbre qui crie à tue-tête qu'il veut une femme. La musique song to the siren (ensorcelé, on vous dit) est même utilisée, dans une version retravaillée, mais elle renvoie bien à la scène d'amour dans la Death Valley de Lost Highway de Lynch. La nudité des espaces enneigés qui fait ressortir les corps fait penser à Fargo des frères Cohen. Son livre "un crime Andalou" pour le film Un chien Andalou...Vous avez compris le principe.

Également, juste une ligne pour souligner l'idée de l'hyper-audition dont souffre David (il entend tout beaucoup plus fort) ; idée très cinématographique qui remet le traitement du son sur un piédestal. Chapeau bas.

En résumé, Poupoupidou est un polar poétique. Troublant, touchant, exaltant. Divinement interprété. Du très bon cinéma français. Mon grand coup de cœur du mois de Janvier. Sérieux, courez le voir !

POUPOUPIDOU, c'est comme une chute de flocons qui font office de larmes sur un écran de veille. C'est envoûtant comme une chanson triste susurrée par Maryline.

++

Thomas K.

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